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de la couronne d’Italie[1], pour te donner quelques détails sur ma position. Tu connais la lettre que j’ai écrite à l’Empereur, je t’en ai envoyé copie. J’ai reçu sa réponse à mon retour de la Suisse, à Sécheron. Il me laisse entièrement libre sur le choix de mon séjour ; seulement, il regarde Navarre et Milan comme les lieux les plus convenables. C’est à Milan que j’aurais donné la préférence. Tu sais combien je désirais aller passer quelques mois auprès de toi, mais tu n’imagines pas tous les bruits qu’on a répandus à ce sujet. On a prétendu que j’avais reçu l’ordre d’aller en Italie et que je ne reviendrais plus en France. L’inquiétude avait gagné jusqu’aux personnes de ma maison. Toutes craignaient un voyage qui ne devait plus avoir de terme. J’ai donc été obligée de renoncer à ce qui m’aurait été le plus doux et à ne pas quitter la France, au moins cette année. Il paraît que l’impératrice Marie-Louise n’a pas parlé de moi et qu’elle n’a aucun désir de me voir. En cela nous sommes parfaitement d’accord, et je n’aurais consenti à la voir que pour plaire à l’Empereur. Il paraîtrait même qu’elle a pour moi plus que de l’éloignement, et je n’en vois pas la raison, car elle ne me connaît que par le grand sacrifice que je lui ai fait ; je désire comme elle le bonheur de l’Empereur, et ce sentiment devrait la rapprocher de moi. Mais rien de tout cela n’influence sur ma conduite. Je me suis tracé la ligne que je dois suivre et je ne m’en écarterai pas : c’est de vivre éloignée de tout dans la retraite, mais avec dignité et sans rien demander que le repos. Les arts et la botanique seront mes occupations ; l’été, j’irai aux eaux, et, pour me rapprocher de toi, je viens d’acheter une jolie campagne sur les bords du lac de Genève, et pour 165 000 francs[2]. Je passerai cet hiver à Navarre où je me rendrai cette semaine. Le peu de jours que je suis restée à Malmaison m’était nécessaire pour me reposer après mon voyage en Suisse. J’y ai vu peu

  1. M. Michel Hennin, fils de l’ancien premier commis des Affaires étrangères. Il était receveur général des pays conquis par l’armée d’Italie lorsque Eugène arriva à Milan. Il s’attacha à lui, fut le trésorier de la couronne, l’ami, le conseiller, l’homme d’affaires du prince qu’il suivit en Bavière. Il revint après sa mort en France, et l’on connaît l’admirable collection d’estampes qu’il légua en 1863 à la Bibliothèque impériale. D’autres établissemens publics eurent en partage ses collections d’autographes.
  2. Prégny avait été acheté, par Joséphine, des héritiers de feu M. Henry Melly de Genève, moyennant 145 000 livres pour le fonds et 120 000 livres pour les meubles (acte chez Noël, 25 avril 1811). Il fut revendu le 22 février 1817, 105 006 francs pour le fonds et 1 800 francs pour les meubles. C’est assez prouver comme elle était impérialement volée.