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Moi qui ai l’air en apparence de bien me porter, j’éprouve une douleur à la tête et des bourdonnemens dans les oreilles à me faire craindre de devenir sourde, puisque quelquefois je n’entends pas. J’ai consulté Corvisart qui m’a fait mettre des sangsues, mais je n’en suis pas moins souffrante. Il paraît décidé à me faire mettre un vésicatoire au col. J’ai reçu avant mon départ de Navarre une lettre de l’Empereur. Il me parlait avec bonté de mes dettes ; il parait qu’on les lui a fort exagérées, mais je compte que bientôt il n’en entendra plus parler. Je mets dans ma maison le plus d’ordre possible et je ne me permets aucune dépense nouvelle. Je t’avouerai que si quelque autre motif que celui de ma santé peut me faire suspendre mon voyage de Milan, ce serait la crainte d’augmenter mes dépenses, car le séjour d’une grande ville exige toujours de la représentation ; mais alors, ce voyage ne serait que différé ; je serai libre de toute dette au printemps prochain. À cette époque, rien ne m’empêcherait plus de rester avec toi jusqu’à la saison des eaux. Tu connais ma position. Mande-moi ce que tu me conseilles de faire. J’ai reçu ta procuration pour te faire suppléer par le grand-duc de Berg au baptême du fils de M. de La Rochefoucauld. Je n’attends pour en faire usage que le retour de ce dernier. M. de La Rochefoucauld dont il est question est le mari de Mme de La Rochefoucauld, ancienne dame d’honneur. Son fils a dix ans[1]. Adieu, mon cher Eugène, tu connais toute ma tendresse pour toi. J’embrasse tendrement Auguste et mes petits-enfans. Si Hortense est encore avec toi, embrasse-la bien pour moi ; dis-lui que ses enfans sont toujours à Malmaison, qu’ils jouissent de la meilleure santé possible et que je ne puis m’en séparer.

« JOSEPHINE. »


L’Impératrice, tout en achetant Prégny et en projetant des travaux considérables à Malmaison et à Navarre, avait cru,

  1. Il s’agit ici de Joseph-Eugène-François-Polydore, fils de M. Alexandre-François de La Rochefoucauld, comte de l’Empire, l’un des commandans de la Légion d’honneur, chevalier de l’Aigle noir, ancien ambassadeur près les cours étrangères, et de dame Adélaïde-Marie-Françoise Pyvart de Chastulé, son épouse. né le 15 mai 1801, il fut baptisé le 20 octobre 1811 par l’aumônier chapelain de l’Impératrice et eut pour parrain le prince Eugène, représenté par le grand-duc de Berg et l’impératrice Joséphine : dans les diverses généalogies de la maison de La Rochefoucauld, il est désigné seulement sous les prénoms de François-Joseph-Polydore. Il avait perdu les autres en 1814. Il fut ministre plénipotentiaire et mourut en 1855.