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organisation de transport et de ravitaillement, tels magasins, dépôts et chantiers, — surtout quand on constatait la mine et la discipline de leur troupe, toute la précise et tranquille horlogerie des services, et qu’on se rappelait enfin la longueur et l’intensité de l’effort, on prenait idée des vertus d’ordre et de conscience, de l’infatigable et minutieux labeur, de la persévérante volonté qui font échec, ici, à toute la méthode allemande.


A l’arrière des premières lignes, ces qualités nous apparaissaient avec tout le solide travail de préparation et de soutien. On nous montrait des hôpitaux, des hangars d’aviation, des ateliers et fabriques (il y en avait où l’on transformait les chu-vaux blessés en toutes formes d’appétissante charcuterie). Partout l’affluence de la main-d’œuvre : on retrouvait, condensée, aux abords de cette ligne du front, toute l’activité française. Partout, sous l’uniforme du soldat, des ouvriers de métier besognant à leurs métiers : charrons, maréchaux, bouchers, boulangers, mécaniciens, électriciens, menuisiers, chauffeurs, jardiniers et cultivateurs même, car autour des fermes dévastées, d’où les chats aussi sont partis, l’armée cultive : je n’ose plus dire le nombre d’hectares, autour du clocher décapité de V… que le général H… a changés en florissans jardins de maraîchers. Toutes les énergies et compétences trouvent à s’employer : les éclopés eux-mêmes besognent et font des miracles.

J’allai voir une de leurs installations. Des éclopés, c’est-à-dire, sans doute, des invalides, tout au moins des fatigués et déprimés : je croyais trouver un lieu de repos. Au village de C… je tombai sur une ruche en pleine ferveur de travail. Sous leurs mains, le village désert et demi-ruiné se muait en village modèle ; les vieux tas d’ordures et de fumier quittaient les portes des maisons ; les carottes et les choux (des fleurs aussi pour le plaisir des yeux) s’alignaient dans les potagers ; une scierie mécanique débitait du bois, à côté d’un savant atelier de lessive, d’une chandellerie où les rebuts de graisse s’utilisent. Ailleurs, un établissement de bains et de douches où l’on peut rincer, épouiller je ne sais combien de centaines d’hommes par jour, — ailleurs le dépôt lui-même, les dortoirs, d’étincelantes cuisines où des rôtis embrochés se dorent, des