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rougissait sous l’excès d’honneur, mais les jeunes yeux brillaient d’amitié et de plaisir.

Plus je regardais, en ses modes et degrés divers, la vie nouvelle qui, depuis deux ans, règne seule en ce pays, et plus m’apparaissait la vérité de cette vieille formule de nos pères que le Français est né soldat. Soldat, il l’est, non seulement par sa bravoure et sa sociabilité, mais par la tendance logique de son esprit que satisfont l’ordonnance et les symétries de la société militaire. Tout y est rationnellement construit comme dans les plans socialistes, comme dans les constitutions politiques que la France s’inventait sous la Révolution, et tout y est plus clair, plus sûr, chaque détail du système commandé par une immédiate et visible nécessité vitale, s’adaptant à tous les autres pour une œuvre sublime et passionnante. Finies, les confusions d’un parlementarisme imité de l’étranger, les obscurités et désaccords d’un régime où l’intérêt local interfère avec l’intérêt général, où la volonté souveraine, distillée de dix millions de volontés particulières, se diffuse en deux assemblées que déchirent les querelles de partis. Il ne s’agit plus de donner un vote sur quinze mille pour élire un député sur six cents. Il s’agit de s’intégrer dans un ordre intelligible et qui se répète à tous les étages de l’armée ; il s’agit pour chacun, avec tous les autres, de recevoir, transmettre et suivre un commandement en y ajoutant, sans doute, une part plus ou moins grande, suivant le degré de la hiérarchie, de décision personnelle, mais toujours en vue des fins communes, ardemment désirées, et qui sont l’absolu. Il s’agit pour un lieutenant d’aider à sauver la France en exécutant les ordres de son capitaine, qui obéit à son commandant, et en conduisant le mieux possible ses soldats. Voilà qui se comprend du premier coup, et qui excite les meilleures énergies de l’homme, toutes ses puissances d’attention et de dévouement. Voilà qui le fixe, — et les faibles en sentent le bienfait, — aux certitudes du devoir, aux précisions d’un ordre invariable et qui satisfait la raison comme une progression mathématique. Dans un ordre pareil, à des rangs échelonnés de la même façon, obéissant aux mêmes impératifs, des Français ont vécu par dizaines et centaines de milliers à la fois, à toutes les époques de la France. Si l’on excepte le groupe élémentaire, la famille, tous les autres modes et cadres de vie sociale sont allés changeant ; seul l’ordre