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elle, commun, unique, irréductible ; la victoire. Nous savons bien que nous ne la tenons pas, que peut-être nous n’y touchons pas, et que ses voies sont âpres. Qu’importe ? Comme le discours de M. Trépoff à la Douma, et celui de M. Boselli à la Chambre italienne, et plus nettement encore, l’acte qui s’accomplit en Angleterre et qui se prépare en France est une déclaration de notre volonté, qui ne fléchira pas. L’enthousiasme du début, en se refroidissant, nous a laissé des nerfs et des muscles d’acier. Nous ne chantons plus le Chant du départ, mais nous chantons l’Hymne à nos morts. La vie nous serait insupportable s’ils pouvaient être morts en vain. Pour que leur sacrifice soit fécond, ou seulement ne soit pas perdu, nous devons conserver et accroître ce que nous avons, nous devons acquérir ce qui nous manque. Il manquait à l’Angleterre une armée, elle l’a levée ; il nous manquait des canons lourds ; nous les avons fondus. A l’Angleterre, et à nous, organisés exclusivement pour la paix, il manquait des institutions de guerre : un gouvernement de guerre, une administration de guerre ; on travaille à nous les donner.

En Angleterre, M. Lloyd George succède à M. Asquith ; et il ne s’agit pas d’un simple changement de personnes, mais d’un changement de système. Jusqu’ici, traditionnellement, dans cette patrie de la tradition qu’est la Grande-Bretagne parlementaire, le gouvernement résidait dans le Cabinet, qui lui-même se circonscrivait pour ainsi dire, en deux cercles: l’un plus étroit, le Cabinet proprement dit, ministres de plein exercice, vrais conseillers du Roi; l’autre, plus vaste, le ministère, dont tous les membres n’avaient pas accès au Conseil. Toutefois, le Conseil, pour les solutions rapides et radicales qu’exige la guerre, et le ministère que le Cabinet traîne derrière lui comme un poids mort, se sont révélés trop nombreux, à l’user. Quand on est trop à délibérer, on délibère trop. M. Lloyd George a demandé à M. Asquith de créer un comité de trois personnes, de quatre ou cinq au plus, et il n’a rencontré chez lui d’objection qu’en ce qu’il a semblé impossible à M. Asquith, si ce comité était créé, ainsi qu’il le désirait lui-même, que le Premier ministre n’en fût pas de droit le Président. Mais M. Lloyd George voulait d’abord et principalement renouveler l’âme; il a tenu bon. Avec un désintéressement qui lui fait le plus grand honneur, M. Asquith s’est alors retiré, suivi par la plupart de ses collaborateurs. M. Lloyd George a eu ainsi toute liberté pour ses arrangemens et ses choix : à cette heure, le nouveau gouvernement] est constitué. Trois cercles, au lieu de deux : un plus vaste, le ministère, comprenant les sous-secrétaires