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Vallona dans l’espoir d’y trouver une occasion de s’embarquer pour l’Italie, les autres à courir vers Saint-Jean de Médua. Là, malgré tous les conseils qui leur étaient donnés, ils s’installaient sur la plage ou dans les villages environnans, attendant l’apparition du bateau sauveur ; du matin au soir, des milliers de réfugiés se pressaient sur le rivage sans vouloir comprendre que si-des contre-torpilleurs alliés réussissaient, en trompant la surveillance des croisières autrichiennes, à convoyer un transport de vivres jusqu’à Médua, ce petit bâtiment, en repartant, ne pourrait prendre à son bord que quelques centaines d’entre eux.

Parmi les soldats qui affluaient à Scutari, les premiers arrivés n’avaient pas trop souffert, ayant été assez bien traités par la population albanaise qui n’avait pas encore compris l’étendue du désastre de la Serbie. Mais les provisions des villageois s’étant rapidement épuisées, les soldats n’avaient plus rien trouvé sur leur chemin et, en voyant quelques-uns vendre leur fusil pour un morceau de pain, les Albanais s’étaient rendu compte qu’ils n’avaient plus rien à craindre de leurs vainqueurs ; de loin d’abord et par traîtrise, puis ouvertement, soldats et réfugiés avaient été attaqués et aux tourmens de la faim et du froid, aux fatigues de la route, était encore venue s’ajouter l’inquiétude des embuscades albanaises.

Epuisés, les soldats entraient à Scutari, isolément, par petits groupes, par bandes compactes, cavaliers et fantassins pêle-mêle ; parfois, un détachement conservait son allure militaire ; mais nombreux étaient les hommes qui n’avaient plus d’armes. Tous paraissaient à bout de forces ; véritables cadavres ambulans, ils avançaient péniblement, maigres, hâves, l’air morne, le teint terreux, l’œil éteint. Leur lamentable défilé continua pendant des journées entières sous la pluie, dans la boue. Aucune plainte ne sortait des lèvres de ces hommes qui venaient de tant souffrir ; comme poussés par la fatalité, ils marchaient silencieusement ; parfois, pourtant, on les entendait dire lleba, (du pain) ; c’était le seul mot qu’ils eussent la force de prononcer. Depuis plusieurs jours, la plupart n’avaient rien mangé ; et dans les cantonnemens où on les rassemblait aux environs de la ville sans un abri suffisant pour se protéger contre la pluie, la neige et le froid, le Gouvernement n’avait à leur donner qu’une maigre ration de pain.

Désespérés, les ministres suppliaient les Alliés de tout faire