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promeneur volontiers solitaire qui, n’importe où, eût commandé l’attention par sa haute taille, ses larges épaules, son front puissant ; par la finesse énergique de ses traits rasés, d’une frappe de médaille romaine ; par la vivacité de sa démarche. l’aisance de son port ; par un air de grand seigneur artiste répandu dans son accoutrement comme dans toute sa personne. C’était lui. Je lui exprimai ma satisfaction de ce que le hasard nous eût réunis sur l’élément qui semblait être devenu le sien.

— C’est vrai, dit-il, depuis que cette abominable guerre dévaste l’ancien monde, je ne me supporte plus dans une Amérique en paix. Je n’y suis pas plutôt rentré que j’y ai tout de suite le mal de France. Je reboucle ma valise et saute dans le premier bateau. En ces deux ans, je n’ai guère vécu que sur vos transatlantiques ou chez vous.

Il s’interrompit une seconde, pour reprendre, avec une nuance de tristesse dans l’accent :

— Chez vous ! J’y retourne une fois de plus par habitude, par besoin, mais, une fois de plus aussi, je me demande ce que je vais y faire. Vous êtes, entre nous, une étrange nation. Vous vous plaignez que les Américains, dans une crise où leur idéal n’est pas moins en péril que le vôtre, bornent toute leur sympathie à vous envoyer, par-dessus les immensités marines, de gentils petits signes d’encouragement, — et, lorsqu’un Américain de bonne volonté, qui a la tête saine et le cœur brave, vient vous dire : « Voilà : j’ai toujours adoré la France ; il n’y a pas une parcelle de mon être que je ne sois prêt à lui consacrer ; usez donc pleinement de moi dans le sens de mes aptitudes : je vous apporte, avec mon dévouement intégral, les quelques lumières que je puis avoir, » vous lui répondez, — oh ! sur ce ton d’urbanité qui n’est qu’à vous : — « Mille grâces. Nous nous souviendrons de votre offre, le cas échéant, mais, jusqu’à nouvel ordre, nous n’avons pas où utiliser vos services. Peut-être, si vous repassiez… » Que de fois n’ai-je pas repassé ! Et, vous voyez, je continue. J’ai bien peur que ce ne soit encore en vain. On ne voudrait pourtant pas, j’imagine, que je me contente, comme je l’ai fait pendant des mois, de répartir entre les villages éprouvés l’argent du « Secours National » ou de distribuer des cigarettes américaines aux poilus des tranchées : ce sont besognes dont le premier boy américain venu pourrait s’acquitter à la perfection, tandis qu’il en est d’autres, plus