Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Américain de prendre passage à bord des paquebots de l’Entente, et le problème est résolu. » C’était la fameuse suggestion, bien germanique, du « warning. » Elle fut sérieusement discutée au Congrès. Les feuilles indépendantes déclarèrent que, si elle était votée, il ne restait plus qu’à arracher du sommet du Capitole les couleurs de l’Union et à hisser à leur place les couleurs allemandes. Mais toute la presse « jaune » la soutint. Un député de New-York, M. Carew, qu’on ne se fût point attendu à voir hennir avec la bande des « chevaux sauvages, » poussa l’oubli de toute pudeur jusqu’à adresser aux électeurs de sa circonscription une circulaire où il les avertissait que, bien que ce fût leur droit strict de voyager sur tel navire que bon leur semblait, ils n’en trahissaient pas moins, en l’exerçant, un suprême devoir patriotique, puisqu’ils risquaient par-là de compromettre les amicales relations du gouvernement de leur pays avec l’une des puissances belligérantes ! Allait-on donc décréter l’agenouillement définitif de l’Amérique devant l’Allemagne ? Et les victimes inapaisées de la Lusitania allaient-elles entendre innocenter rétrospectivement leurs bourreaux, pendant qu’on réserverait pour elles tout le blâme ? On put, en vérité, le craindre. A Philadelphie, où j’étais à ce moment, le clan pro-germain exultait, escomptant la victoire. Sur ces entrefaites, le New-York Times nous apporta, un matin, la magistrale réplique de l’avocat Coudert au député Carew. Elle était cinglante : « Tous mes remerciemens, monsieur, pour m’avoir prévenu, avec cette franchise dépouillée d’artifice, que, si j’use d’une faculté qu’il n’est, confessez-vous, au pouvoir ni du Président, ni du Congrès, de suspendre, les représentans de ma nation, gardiens de ses libertés, se lavent par avance les mains du dommage qu’il en pourra résulter pour moi du fait d’un gouvernement étranger. Votre avertissement, votre « warning, » était, d’ailleurs, superflu. N’avions-nous pas déjà reçu celui de la chancellerie impériale d’Allemagne, faisant charitablement assavoir aux Américains qu’il était préférable pour eux de ne point voyager du tout, pas plus sur leurs propres vaisseaux que sur les autres ? Le Gulfflight, le Cushing, le Pétrolite et je ne sais combien de bâtimens de notre flotte marchande, voguant sous notre pavillon, n’ont-ils pas été envoyés depuis, longtemps réfléchir au fond de la mer sur les inconvéniens de désobéir à cette sage admonition ? » Puis, du sarcasme passant à l’invective :