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du monde par la force brutale et pour garantir aux plus humbles nations l’indépendance dans la sécurité. Nous croyons que le progrès de la civilisation et le libre essor de la démocratie sont liés à la victoire des Puissances de l’Entente. Nous croyons qu’il est de notre devoir d’hommes et de notre honneur de citoyens d’exiger de notre gouvernement qu’il assure à la nation les moyens de témoigner efficacement la profondeur de son aversion pour les procédés des Empires centraux et l’ardeur de sa sympathie pour les efforts des Alliés. » Lorsque, au commencement d’avril, je quittai l’Amérique, ce credo du vrai Américain y était déjà répandu à des millions d’exemplaires.

Mais plus éloquent peut-être que tous les credos était le malaise d’âme, la honte secrète dont quotidiens et magazines laissaient fréquemment échapper l’aveu. Un soir de février 1916, je ne fus pas peu touché, en ouvrant le Century du mois, d’y trouver un article intitulé : « Les grands enfans de la Bretagne (The playboys of Brittany). » Il s’agissait des Bretons de la flotte, de ces inoubliables fusiliers marins que Le Goffic a chantés. L’auteur, Arthur Gleason, les avait observés de près, pour avoir vécu parmi eux, comme correspondant de guerre, depuis le début jusqu’à la fin de leur campagne. « C’étaient, disait-il, de beaux jeunes gars que l’on avait arrachés au pont de leurs navires et lancés à l’aventure vers le front, avant même qu’ils eussent appris ce que c’était qu’une tranchée. Mais ils avaient en eux l’audace, fille de la mer, et l’instinct de la discipline, et l’habitude de la vie hasardeuse. » Il les vit mourir comme on sait, longuement, en héros d’une espèce rarissime, en héros gais, en héros drôles, en héros gamins qui, pas un instant, n’eurent l’air de soupçonner qu’ils fussent, dans ces tragiques plaines de l’Yser, pour autre chose que pour leur amusement. Et quelle philosophie le publiciste américain dégageait-il de ce spectacle d’une sublimité sans seconde ? Faisant un retour sur lui-même et sur son pays, il se demandait, il demandait à l’Amérique : « Sommes-nous dignes d’un semblable sacrifice ? Pourquoi était-ce à ces jeunes existences valeureuses de s’immoler pour moi ? Etes-vous bien sûr, confortable lecteur, que ce fût leur consigne, et pas la vôtre, de succomber pour la défense de la civilisation à qui vous êtes redevable de votre confort ? » Points d’interrogation redoutables auxquels la conscience américaine avait répondu d’avance,