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venus de l’arrière. Dans la tranchée du jeune Maurice Faivre, l’enseigne Boissat-Mazerat contait d’hilarantes anecdotes ; le lieutenant de vaisseau de Roucy, « délicieux petit capitaine qu’on s’attend à voir en perruque poudrée à la française, donnait son mot ; » une voile « servait de toit » comme à bord et, sous ce toit improvisé, devant « un feu à rôtir un bœuf (au mépris de toute prudence), » l’escouade savourait un « chocolat à la glace fondue. »

Les tranchées voisines n’étaient pas moins favorisées. Un peu partout, les officiers avaient fait d’amples distributions d’effets chauds, tabac, bonbons et autres menues friandises de Noël. Les Boches, de leur côté, enfouis dans leur ripaille, semblaient ne plus songer à la guerre, car ils n’attaquèrent pas, ils suspendirent même le bombardement. Ils chantèrent jusqu’au matin. Après quoi, dans un ciel léger, lavé de toutes ses souillures et d’une innocence enfantine, le soleil se leva et, avec lui, l’espoir au cœur des hommes. Pour la première fois, l’aumônier de la brigade put célébrer sa messe sans l’habituel accompagnement du canon. L’autel occupait le fond d’une grange ; c’était presque le décor évangélique, avec sa litière de paille, d’où nos Jean Gouin s’étiraient, les paupières bouffies, au coup de sonnette de l’officiant. Un déjeuner plantureux couronna la fête. Dans l’après-midi, le temps se gâta : la trêve de Noël était close, le ciel se rembrumait et, de la paille chaude des granges il fallait passer sans transition à l’humidité des tranchées, de l’églogue évangélique aux scènes de massacre et de charnier.

Il y avait surtout, devant notre première ligne, un chapelet d’une quinzaine de cadavres, des marins presque tous, surpris par une rafale de mitrailleuse dans la position de tirailleurs couchés. Il n’avait pas été possible jusque-là d’aller les chercher : si nos obus bousculaient ses tranchées, l’ennemi ne ménageait pas davantage les nôtres. « Le matin [du 27], alerte brusque sur le front de la 11e [Cie] : un tireur boche frappe successivement trois hommes, dont le maître-fusilier Rouault[1], » excellent gradé qu’au Borda, pour son emphase un peu gasconne, on avait surnommé Cyrano, et qui sut mourir simplement, comme un Breton. L’ennemi se tut après une riposte et, au cours de la nuit qui fut calme, on réussit à

  1. Carnet de l’enseigne P…