Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refuser d’envoyer un enfant à l’école, de peur qu’il n’y corrompit la pureté originelle de son génie. Mais ce ne serait pas avoir l’esprit plus sain, que de prétendre, à l’âge adulte, ne plus rien tenir que de soi-même, de son développement, de ses propres découvertes, et de refuser toutes les acquisitions dont on serait redevable à d’autres. Il n’en va pas autrement des nations. Celle qui s’enferme dans la contemplation de soi-même, et croit n’avoir rien à recevoir de personne, s’épuisera, s’ankylosera, se desséchera plus ou moins vite : sa lumière est condamnée à s’éteindre.

Nous autres Français, nous sommes un peuple curieux. Nous n’avons jamais pu voir avec tranquillité que d’autres hommes comprissent ce que nous ne comprenions pas, eussent des plaisirs que nous ne sentions pas. L’avance prise par d’autres dans les lettres et dans les arts nous a enflammés d’émulation, excités à marcher sur leurs pas, non pour nous traîner derrière eux, mais pour les rattraper, si nous pouvions, et les dépasser. Nous nous sommes donné une tragédie au XVIe et au XVIIe siècle, parce que les Grecs et les Italiens en avaient une : nous nous sommes donné une poésie lyrique au XIXe siècle, parce que les Anglais et les Allemands en avaient une. Notre volonté a suivi notre intelligence ; et notre effort de création a été dirigé par l’idée claire de ce qui nous manquait, et que nous apercevions chez d’autres.

Qui sait si, sans ces excitations du dehors, nous ne serions pas restés infiniment au-dessous de nous-mêmes ? Pendant quatre ou cinq siècles, du moyen âge au milieu du XVIe siècle, nous avons un théâtre florissant, et l’art dramatique ne fait pas de progrès. Un jour nous nous mettons à imiter Sénèque et Sophocle, voire le Trissin ou Giraldi : au bout d’un siècle, sortent le Cid et Andromaque ; et il apparaît que cet art dramatique, que nous n’avions pas su organiser tout seuls, est l’une des plus certaines vocations du génie français. Ainsi, au point de départ de beaucoup de nos progrès, il y a une influence du dehors, un parti pris d’imitation, qui, loin d’éteindre notre originalité, l’éveille, et nous oblige à tirer de nous la puissance latente dont, autrement, nous n’aurions peut-être jamais pris conscience.

L’autre fonction des littératures étrangères, qui n’est pas moins importante, a été de nous rendre, à de certains momens,