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un peu tout le jour, histoire de me réchauffer, vous auriez le droit de dire : Quantum mutatus ab illo !  » Bien entendu, on leur sait gré de leur simplicité, de leur facilité de commerce et d’adaptation ; dans la franche camaraderie des dangers affrontés en commun, bien des préjugés mutuels tombent ; la tolérance, le respect mutuel sont des vertus qui semblent alors toutes naturelles. « J’ai une vieille église de village que je décore, dit l’un. Nous y avons fait des offices de Noël qui laisseront un bon souvenir dans l’âme des assistans. Mais quel caravansérail ! un piano emprunté à l’école laïque, un violon tenu par un radical militant et politicien, un chanteur de Minuit chrétien, protestant et radical socialiste, et l’aumônier prêchant dans cette grande paix, qui tombait du ciel en cette nuit de Noël, la loyale et pacifique collaboration de tous les hommes de bonne volonté ! » Et un autre conte avec humour cet épisode de la retraite de Charleroi : « Un soir, nous eûmes à quatre, le pasteur protestant, le rabbin, un officier qui se disait libre penseur, et moi, la bonne fortune de trouver un lit, sans draps, bien entendu, et un matelas. Vite, vite, on tire au sort : le pasteur couché avec le rabbin (l’Ancien avec le Nouveau Testament) et le dogme, que je représente, s’allonge aux côtés de la libre pensée. Au bout de deux minutes, c’est un concert merveilleux auquel aucun congrès de religion ne pourra jamais parvenir. » Et à ceux qui douteraient que les prêtres pussent retirer quelque bénéfice moral de cette existence en commun et de ces multiples expériences, c’est un prêtre en personne qui répond : « Au milieu de ces horreurs, la guerre nous révèle le mystère de la fraternité sociale et nous rend le sens de la Patrie. A tous ceux qui nous aident à mieux percevoir ces grands aspects de la vie et de l’âme humaine, blessés et gens hospitaliers des villes et des campagnes, merci. »

Ce ne sont pas là des paroles en l’air. Les plus beaux, les plus vibrans hommages qui aient été peut-être rendus à l’héroïsme de nos soldats sont dans ces lettres de prêtres. Du journal d’un Jésuite, aumônier militaire à un bataillon de chasseurs qu’il a assistés dans les effroyables combats de Notre-Dame-de-Lorette, j’extrais quelques lignes bien éloquentes :


Y a-t-il héroïsme comparable à celui-là ? Donner une fois sa vie dans l’ivresse de la charge, au scintillement des lames, emporté par la course folle, c’est un geste splendide, ou !… mais tenir là, sur cette poussière