Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulièrement émouvante, que « la France, qui est en train de conquérir ses provinces perdues, est en train de reconquérir son Dieu qu’elle avait oublié depuis si longtemps ? » A tout le moins, la France est en train de conquérir sur les champs de bataille, avec une grandeur morale devant laquelle s’inclinent ses ennemis eux-mêmes, la paix religieuse sans laquelle elle ne saurait plus vivre. Qui aurait maintenant chez nous le triste courage de proscrire et de vouloir ruiner une foi qui a soutenu tant de courages, exalté tant d’héroïsmes, consolé tant de souffrances ? L’anticléricalisme est un des fruits de la défaite ; le premier devoir d’une France victorieuse sera de rejeter loin d’elle cette tunique de Nessus, legs intéressé du machiavélique Bismarck.


En attendant, la France militante peut se regarder avec fierté dans les lettres de ses enfans. Car c’est bien la France d’aujourd’hui que reflètent toutes ces lettres du front, et nous voyons s’y préciser les traits par lesquels les générations nouvelles, à la veille de la guerre, affirmaient leur personnalité et s’imposaient déjà à notre attention. Le goût de l’action hardie, aventureuse, héroïque ; un certain mépris pour l’idéologie abstraite, pour les raffinemens et les complications de la pensée, du sentiment et du style ; un sentiment fort et délicat tout ensemble des responsabilités morales individuelles et collectives ; un sens très vif des réalités nationales, des traditions spirituelles qui ont fait la grandeur de la patrie : cette âme épurée de la France éternelle vibre et palpite dans les lettres de ceux qui se battent, et qui bâtiront la France de demain.


VICTOR GIRAUD.