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justification de leur attitude et une excuse de leurs crimes. La haine antivénizéliste d’une partie de la population, faite des éternels mécontens et de ceux que la propagande allemande avait littéralement empoisonnés, devait être stimulée par la révélation sensationnelle qui leur était officiellement communiquée, avec toutes les garanties apparentes d’authenticité. Aux yeux des naïfs, aux yeux du simple peuple qui ne connaît pas la défiance, Venizelos deviendrait un nom synonyme de traître, et l’anéantissement des amis de ce traître une mesure de légitime défense à laquelle l’Etat devait nécessairement recourir. Enfin, aux agens du gouvernement auxquels était confiée l’exécution de cette mesure de défense et d’assainissement était ainsi procurée une immunité complète pour tous les crimes commis ou à commettre.

Est-il besoin de réfuter la calomnie dont M. Venizelos était ainsi l’objet ? Même en faisant abstraction des sentimens de M. Venizelos à l’égard du régime grec[1], il est impossible

  1. Il est intéressant, croyons-nous, de signaler à ce propos l’opinion que professe M. Venizelos sur l’établissement possible de la république en Grèce. L’homme d’État crétois est un démocrate, mais non un républicain. Depuis qu’il est entré dans l’arène politique, il estime qu’il serait fatal pour le peuple grec, dont l’éducation politique est insuffisante, de le soumettre à un régime républicain, — ce régime n’étant susceptible ni de développer chez les Grecs le sentiment de la discipline, ni de pourvoir à leur organisation étatique. M. Venizelos a souvent déclaré à ses amis et même à des journalistes qu’il ne pensait pas qu’avant deux ou trois cents ans l’établissement d’une république grecque fût possible. Il adapta du reste toujours sa conduite politique à son programme théorique. La cordiale collaboration qui a uni ses efforts à ceux du roi Georges de 1910 à 1913 en est la preuve évidente. Et il ne faut pas oublier qu’un des premiers soucis de l’homme d’État crétois fut de consolider la dynastie en Grèce et de l’entourer du plus de prestige et du plus de popularité possible. Ce fut à cet effet qu’il soutint et obtint en 1910 la réintégration de Constantin, alors diadoque, et de ses frères dans l’armée grecque, bien que l’opinion publique et une grande partie de la Chambre voulussent s’y opposer d’une manière catégorique. Mais le loyalisme de M. Venizelos ne consista jamais en une simple fidélité à la couronne. Il était de tout temps doublé d’une fidélité absolue à la Constitution. Et tant que le roi Georges était en vie, ces deux devoirs se conciliaient très bien. Mais le roi Constantin, en violant à plusieurs reprises la Constitution et en enlevant à M. Venizelos l’espoir que les droits conférés par cette Constitution à la majorité que celui-ci représente ne seraient plus méconnus par la Couronne, obligea M. Venizelos à sacrifier le loyalisme envers le souverain au devoir qu’il avait « de faire respecter » la Constitution. S’il ne consentait pas à ce sacrifice, outre qu’une immense responsabilité aurait pesé sur lui, les intérêts internationaux de la Grèce auraient en plus pâti d’une façon irrémédiable. Mais ce sacrifice n’entraîne chez tous les Grecs qui adhèrent au mouvement national aucun abandon de leurs principes monarchiques constitutionnels. Leur anti-royalisme actuel n’est qu’occasionnel. Les Puissances alliées le savent et l’opinion européenne aussi. Et les habitans de la Vieille-Grèce qui ont pu, à la suite des mensonges qui leur ont été servis à dessein, croire que les récens événemens ont changé en quoi que ce soit les idées monarchiques de M. Venizelos, se détromperont le jour où ils apprendront que, le 28 décembre dernier, au cours d’une conférence politique donnée par M. Repoulis à Salonique, et lorsque des cris de « Vive la République ! » se firent entendre, M. Venizelos se leva, plein de colère, pour déclarer qu’il considérait cette manifestation comme « impolitique et déplacée. »