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cérémonie de pendaison, ce n’est qu’une comédie un peu rude organisée par le seigneur Alvise Alvenigo, lequel se frappe le ventre de ses deux mains et mêle sa joie ironique aux ovations de la populace. Le poète sifflé de César bafoue son triste Roscius et lui inflige le châtiment d’être comique dans les apprêts sinistres de la mort. Au théâtre de Palladio, Tito avait manqué son entrée : sur l’échafaud de la piazza dei Signori, Tito vient de manquer sa sortie. Bref, Tito a la vie sauve, au prix de son héroïsme ; et il sera ce qu’il était, au détriment de ce qu’il a souhaité d’être.

Il fallait raconter ce roman, bien que l’analyse le gâte. Certains romans, on en dégage l’idée philosophique ou morale, on en montre le témoignage de réalité. Cette fois, tout n’est que récit. Le plus gracieux récit, le plus attrayant, varié d’incidens qui en renouvellent sans cesse la surprise aimable, et traversé de personnages, les uns drôles, les autres si touchans, qui évoluent, disparaissent, reviennent et, dans le costume de leur pays et de leur temps, sur le théâtre antique et renaissant de Palladio, jouant la comédie éternelle, la jouent plaisamment, pour qu’on en ne et pour qu’on en rêve.

Un récit : quelques romanciers ne se souviennent pas toujours qu’un roman, d’abord, est un récit. Plaisant : beaucoup d’écrivains oublient volontiers que la littérature est, d’abord, un plaisir ; faute de quoi, elle sera maintes belles choses, tout ce que vous désirez, et risquera de n’être plus la littérature. L’œuvre de M. de Régnier, son œuvre entière et ses romans, est là pour rappeler aux imprudens ces vérités principales. Il aime à conter ; il aime moins à épiloguer sur son art. Cependant, il a formulé, à l’occasion, le précepte de son plaisir. S’il donne les Rencontres de M. de Bréot, qui sont de joyeuses rencontres, il avertit son lecteur de ne se point mettre martel en tête : « Je n’ai jamais, en écrivant, cherché quoi que ce soit d’autre que le plaisir délicieux d’une occupation inutile. » Le Roman d’un jeune homme sage rassemble à ses ouvrages les plus divers, en ce qu’il ne provient, comme eux, « de rien d’autre que d’un même goût, qui m’est naturel, de me divertir à des événemens et des personnages. » Sur le Plateau de laque, voici de « brefs épisodes observés sur la vie ou inventés d’après elle, et qui n’ont d’autre prétention que de divertir par leurs figurines ou d’amuser par leur arabesque. » Au lecteur de la Canne de jaspe, cet avis : « Je ne sais pourquoi mon livre ne te plairait pas. Un roman ou un conte peut n’être qu’une fiction agréable. S’il présente un sens inattendu au-delà de ce qu’il semble signifier, il faut jouir de ce surcroît à demi intentionnel sans y exiger trop de