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Dominique fera en sorte que vous ne puissiez me posséder ni sous cet habit ni sous aucun autre !… »

Lapa retourna alors chez les sœurs et, le cœur plein de détresse, plaida la cause de sa fille. « Si encore elle n’était pas trop jolie… » insinua la Prieure. « Venez en juger vous-même, » répondit Lapa qui, elle aussi, savait être diplomate. La Prieure la suivit et ne trouva pas que Catherine, dont le visage était couvert de boutons, fût d’une extrême beauté ; en revanche, elle fut impressionnée de sa piété incontestable. Les autres sœurs furent consultées et il est possible qu’Agnès Benincasa ait pesé sur la décision, en faveur de sa nièce ; quoi qu’il en soit, Catherine reçut enfin l’heureuse nouvelle si longtemps attendue qu’elle serait admise au nombre des Mantellate. La joie qu’elle en éprouva fut si vive que la maladie déclina rapidement et que l’on put fixer le jour de sa réception.

Peu avant ce jour, si impatiemment désiré, Catherine eut à soutenir un rude combat. Elle était un soir dans son austère cellule, en prière devant son crucifix, — c’était à la tombée de la nuit, à l’heure où l’âme est pleine de désirs qui l’étonnent elle-même, désirs qui ne se risquent pas au soleil, désirs qu1 s’évanouissent dès que s’allument les lampes, mais qui prennent leur essor aux confins du jour et de la nuit, tels de sombres oiseaux crépusculaires, — souvenirs mélancoliques, rêves dangereux…

Ce soir-là, dans sa petite cellule enténébrée, Catherine reçut la visite de ces hôtes troublans. Entendit-elle la voix de sa défunte sœur Bonaventura ? Se rappela-t-elle le bonheur de la jeune mère entourée de ses enfans joyeux ? Ou bien fut-ce le souvenir d’une fête ? Revit-elle les étendards gracieusement agités par les jeunes et sveltes affieri ? Revit-elle la foule en habits de gala rassemblée au Campo sous le soleil éclatant, et les estrades ornées de draperies rouges, occupées par des dames élégamment vêtues ? « Toi aussi, Catherine, tu pourrais prendre place au milieu d’elles, murmurait une voix à son oreille. Pourquoi as-tu coupé tes beaux cheveux dorés ? Pourquoi portes-tu un cilice sur ton corps délicat, et pourquoi revêtiras-tu dans quelques jours la grossière robe des sœurs ? Vois, cet habit n’est-il pas bien plus beau ? » Et, dans la lumière déclinante du soir, Catherine crut apercevoir devant elle un jeune homme svelte et beau comme un page della Contracta dell’Oca, qui lui