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M. Maurice Barrès, vénérait, — étonné, — à travers les « burgs dorés, » les traces de la plus originale des dominations, d’Arménie, où régnèrent des Lusignans, à cette île de Rhodes où l’on salue avec émotion le bastion d’Auvergne et les ostels fleuris du lis de France, il y a tout autre chose qu’une domination militaire : un régime fécond en belles et bonnes œuvres. Or de ce régime, qui a fondé notre influence aujourd’hui huit fois séculaire, la Syrie franque fut le berceau. Ce sont les Assises de Jérusalem qui ont ensuite régi le royaume de Chypre jusqu’au milieu du XVe siècle, ce sont elles qui ont servi de modèle aux Assises d’Antioche, portées jusqu’en Arménie, comme aux Assises de Romanie, loi des principautés féodales de Grèce.

Ce qu’était ce régime en Syrie pendant les deux siècles que vécut le royaume de Jérusalem, c’est ce que je voudrais dire ici en quelques pages.


On n’attend pas de moi le récit de la Croisade. Il est dans toutes les mémoires. Mais dès l’abord j’entends insister sur le caractère presque exclusivement français de l’entreprise. Car encore faut-il comprendre pourquoi le nom de Franc va rester en Orient synonyme d’Occidental et en quoi telle chose se justifie.

Sans doute, à la fin du XIe siècle, — comme par la suite, — la Croisade entraîne vers l’Orient des armées fort composites : Anglais, Allemands, Italiens y prirent part. Ce n’en est pas moins du centre de la France, de Clermont, que part le mouvement ; c’est un pape champenois, Urbain II, qui le déchaîne, un moine picard, Pierre l’Ermite, qui le propage, et si l’armée croisée ne se recrute pas seulement dans les limites de la Gaule, il est assez remarquable que les chefs des corps dits « allemands » et « italiens » sont gens de langue d’oil qui n’ont jamais donné leurs ordres que dans le parler de France : un Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, et un Baudouin de Flandre, comme un Bohémond et un Tancrède, princes normands de la Basse-Italie. Si nous considérons que, par ailleurs, les corps français ont pour capitaines un duc de Normandie, un comte de Chartres, un marquis de Saint-Gilles et Hugues de Vermandois, petit-fils de Hugues Capet, il faut convenir que les Orientaux ne se trompèrent point en tenant pour Francs les guerriers