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beau et bon parleur » dit de lui Philippe de Navarre, était le type de ces seigneurs de Terre Sainte dont la famille établie depuis plus d’un siècle s’était complètement nationalisée syrienne. Car après trois générations, il y avait une noblesse chrétienne de Syrie qui, ayant conservé avec les lointains cousins d’Europe des rapports assez relâchés, avait sa personnalité propre, — supérieure en masse à celle des parens des Gaules.

Avec leurs ancêtres était venu en Asie au temps de la première Croisade tout un monde de petites gens qui, sous cette noblesse, avaient institué une bourgeoisie assez relevée. Il est intéressant, après un siècle, de trouver d’Antioche à Tripoli et à Jérusalem, Francs syrianisés, des Sourdral, des Le Jaune, des Marmendon, des Puy-Laurent, des Roucherolles, des Larminat, des Tirel, des Desmonts, des Falzhard, des Porel, des Bachelier, etc., tous nés, ainsi que leurs pères, grands-pères, en Syrie, mais qui, s’étant multipliés formaient bien une classe et une classe à droits, — ainsi que toutes. À côté des Assises de la Haute Cour, code de la noblesse, nous possédons en effet les Assises de la Cour des bourgeois, code de la roture et charte de ces bourgeoisies organisées aussi bien à Jéricho, Lydda, Saint-Jean de Sebaste, que dans les grandes villes, Beyrouth, Tripoli, Antioche, Saint-Jean d’Acre et Jérusalem. Ils étaient, eux aussi, jugés par leurs pairs et, en outre, participaient à la gestion des affaires de la cité, — si jaloux de leurs droits qu’ils ne les laissent en aucune circonstance périmer. Si, par exemple, Baudouin a rendu une ordonnance sur le nettoyage de rues, les jurisconsultes de la Cour des bourgeois la cassent parce qu’elle n’a pas été établie du consentement des bourgeois de la cité, — ce qui permet de conclure que le roi de Jérusalem, tout régnant qu’il soit en plein XIIIe siècle et dans le « palais de Salomon, » a moins de pouvoir que n’en aura, en plein XIXe siècle, à Paris, le baron Haussmann. Aussi un autre roi a-t-il soin, s’il établit des droits d’octroi aux portes de Jérusalem, de faire homologuer son ordonnance par quatre bourgeois qui s’appellent Porel, Bertin, Bachelier et Guillaume Strabon. Car, dit l’Assise, il faut au Roi en ces matières « conseils de ses homes et de ses borgeis de la cité. » Ainsi, bien avant les bourgeois de Paris, ceux de Jérusalem font plier les rois « por ce que est le dreit. »

À côté de ces bourgeoisies, d’autres groupes bourgeois ont aussi leurs chartes : ce sont les marchands italiens,