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centrale que les Ibelin, à la vérité grands amateurs de beaux-arts, venaient de faire décorer et certain pavage de mosaïque où l’image d’une eau faiblement ridée par la brise procurait une impression de fraîcheur, tandis que, sur la voûte peinte, se jouaient des nuages dans un azur céleste ; il dépeint la piscine de marbre où « un dragon paraissait dévorer des animaux peints en mosaïque et lançait en l’air une gerbe d’eau, » le fond du bassin semblant émaillé de fleurs éclatantes. Rey a trouvé dans les châteaux de Césarée et de Margat des traces de lambris en, bois précieux et des peintures à fresque, et il ne saurait faire doute que des tentures et des tapis opulens couvraient murs et pavé.

Mais c’était surtout dans les hôtels qu’habitaient, dans les cités, seigneurs et bourgeois, que le luxe se donnait carrière. Sur les rues étroites et parfois couvertes, reliées par des galeries voûtées[1] s’élevaient des hôtels beaucoup plus pareils à ceux de l’Italie, rapporte Herman Corner, qu’aux demeures d’Ile-de-France : quelques-uns paraissent avoir rappelé les palais à créneaux de Florence, mais l’intérieur était encore plus que celui des châteaux accommodé à une vie de luxe : les escaliers, généralement extérieurs, s’ornaient de rampes ouvragées ; l’art syro-arabe avait répandu ses trésors dans les salles et galeries qui devaient, par leur composite, donner l’impression singulière que font sur nous les restes admirables des édifices siciliens du XIIe siècle. En tout cas, si l’on allait visiter, en son hôtel d’Acre ou de Beyrouth, le comte de Césarée ou le prince de Galilée, le décor qui accueillait l’hôte rappelait certainement plus, avec ses galeries aux pierres ciselées, ses vitres colorées, ses draperies éclatantes, ses tapis de haute laine, le palais d’un émir que la sombre demeure jadis abandonnée par l’aïeul pour suivre à la Croisade Hugues de Vermandois ou Robert Courle-Heuse[2].

Les édifices religieux eux-mêmes s’imprégnaient dans une certaine mesure de cet exotisme. Cependant les architectes étaient, là plus qu’ailleurs, restés fidèles au style de France qui

  1. Le souk de Jérusalem est formé de trois grandes galeries en ogives bâties par les Francs, communiquant par des passages latéraux qui s’appelaient, au XIIe siècle, marché aux Herbes, rue Couverte et rue Malcuisant ou Malcuisinat.
  2. Vilbrandt d’Oldenbourg nous décrit une maison d’Antioche d’un luxe tout pareil à celui qu’il nous fait admirer dans le château des Ibelin de Beyrouth.