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abrégée, grâce au climat qui agit à la fois sur le physique et sur le moral. Revenez, et vous verrez combien ici la vie est douce pour nos blessés.

Je suis revenue à l’heure du repos sur les terrasses. Il y a de tout un peu parmi les hôtes de la Novaïa Bolnitzia : poumons ruinés par les gaz asphyxians, nerfs ébranlés par le formidable choc des explosions, organismes délabrés, visages déformés, que la gloire fait pour nous plus beaux, et jusqu’à un lycéen, victime innocente d’un obus lancé par le Breslau sur la paisible cité d’Eupatoria. Mais celui qui me frappe le plus parmi les blessés, c’est un officier de vingt ans, convalescent d’une horrible fracture du crâne. L’os a complètement disparu, sur une longueur de plusieurs centimètres, creusant une cavité profonde. Au fond de ce ravin, la chair s’est reformée, si tendre encore, si peu protectrice qu’on y peut compter les pulsations du sang. Celle terrible blessure est le résultat de la décharge, à quelques pas, d’une mitrailleuse. Certains centres de la sensibilité ayant été atteints, le jeune officier est en partie paralysé du côté droit, ce dont on ne désespère pas de le guérir. Détail curieux, non pour les praticiens, mais pour les personnes peu versées dans les mystères de la physiologie : c’est par le cerveau, directement, et non par l’intermédiaire du canal auditif, que les bruits et surtout la musique, frappent le blessé. Leur répercussion est plus forte que la normale, ce qui lui cause une sensation désagréable ; aussi apprécie-t-il la paix de ce paradis du silence.


ENTRE CIEL ET TERRE

Péniblement, par un sentier qui me rappelle les rocailleux chemins de Sicile, nos chevaux gravissent la côte où, presque outre ciel et terre, s’élève le sanatorium fondé par S. Exc. le général Popoff, chambellan de Sa Majesté, puis offert à l’Impératrice et placé sous le vocable des grandes-duchesses Olga et Tatiana. La vue s’étend sur toute la baie, domine les forêts de pins, les jardins d’où s’élance le fût pyramidal des cyprès. De l’autre côté du ravin, le palais d’été de l’Emir de Boukhara, bijou mauresque enchâssé dans les verdures, contemple de loin le parc de Massandra, pareil au manteau brodé d’une sultane…