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temps-là, chacun portant en soi-même le même souci que tous les autres. On était simplement heureux de se regarder et de se comprendre.

Lorsque, après dix longs jours d’attente, la nouvelle de la victoire de la Marne se répandit, elle trouva les Parisiens aussi maîtres d’eux-mêmes qu’ils avaient paru dans les jours difficiles. Merveilleuse intelligence d’un peuple toujours prompt à considérer en un seul moment tous les aspects des choses. Cette victoire fait l’orgueil de Paris : la bataille qui le libère en de telles conjonctures lui apparaît aussitôt comme le point culminant de son histoire, et la joie de se sentir délivré n’est-elle pas de toutes les joies humaines celle qui veut le plus violemment sortir de l’âme ? Cependant l’aspect des faubourgs ne change pas, nulle clameur ne s’élève, aucun rassemblement ne se forme, personne ne songe à illuminer. C’est que l’œuvre est bien loin d’être achevée. C’est qu’il n’est manifestation si légitime et si grandiose qui ne soit méprisable au regard d’un si beau coup du génie français : un immense respect pour les braves qui le défendent tient Paris silencieux.

Telle fut, pendant les six premières semaines de la guerre, la fermeté que la population parisienne opposa aux plus imminens dangers comme aux plus étonnantes nouvelles. Il faut qu’un siècle passe pour la faire connaître en un instant. Bien loin qu’un grand danger la livre aux dérèglemens, il la libère bien au contraire de toute pensée inutile et ne va qu’à mettre en lumière la suprême honnêteté de l’homme parisien.

Une population qu’on imaginait turbulente et frivole s’y montre soudain clairvoyante et résolue, et cette intuition qu’on lui accorde, ce goût rapide et sûr, cette fugitive humeur qui dans les jours heureux la porte à respirer à toute heure la fleur de tout, cache un don magnifique qui lui vient des siècles, le sens juste, toujours égal chez elle à la grandeur des choses qui s’accomplissent.


Dès lors commencèrent pour les pauvres gens les temps de la guerre longue.

Qu’une population surprise et remuée tour à tour, en moins de deux mois, par la duplicité de la diplomatie allemande, la déclaration de guerre, la mort tragique d’un tribun, le bruit