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situation de fait qu’elle doit loyalement subir et qu’elle doit respecter les conditions de cette occupation : mais il formule aussi, avec une netteté courageuse, que le pouvoir qui a envahi notre sol n’est pas une autorité légitime. « Dès lors, dans l’intime de votre âme, vous ne lui devez ni estime, ni attachement, ni obéissance. L’unique pouvoir légitime en Belgique est celui qui appartient à notre Roi, à son Gouvernement, aux représentans de la Nation. Lui seul est pour nous l’autorité. Lui seul a droit à l’affection de nos cœurs, à notre soumission. »

Pendant trois dimanches consécutifs, il nous fut donné lecture, dans toutes les églises de l’archevêché de Malines, de cette longue lettre pastorale qui nous transporta d’enthousiasme. L’autorité allemande s’était inquiétée de cette première lecture ; elle s’était adressée au cardinal et l’avait sommé d’en interdire la continuation. Le cardinal avait répondu que son clergé savait ce qu’il avait à faire. Le second dimanche, on s’écrase dans les églises ; à l’heure du prône, l’anxiété règne dans la foule… Lirait-on ? Ne lirait-on pas ? Le vieux prêtre monte en chaire et commence d’une voix forte : « L’autorité allemande nous défend de poursuivre la lecture de la Lettre pastorale de Mgr Mercier. N’ayant d’ordres à recevoir que de mon chef spirituel, j’en reprends la lecture. Dimanche dernier, il nous avait dépeint tous les ravages et les crimes commis par les hordes teutonnes (ici sa voix s’élève) dans leur passage à travers la Belgique. Je poursuis… » Ces mots résonnaient de vaillance, dans l’église paroissiale où nous pouvions distinguer, parmi la foule, les uniformes gris.

Et maintenant encore, à propos des déportations belges, le cardinal Mercier ne fait-il pas retentir la plus émouvante protestation ?

Dans une allocution prononcée le 20 novembre 1916, en l’église Sainte-Gudule, au centre de son diocèse et de notre pays, afin que tous, ainsi qu’il le dit lui-même, puissent se faire les propagateurs de sa pensée et les interprètes de ses sentimens, il flagelle l’infamie des déportations, et il prend comme thème de son homélie ces mots qui condamnent le pouvoir occupant, dont le premier devoir serait de respecter ses engagemens et nos droits, c’est-à-dire de veiller au maintien de l’ordre : « L’injustice appuyée sur la force n’en est pas moins l’injustice. »