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pas- juger mes tableaux. Il faut appeler la raison. » Principe et règle des œuvres d’un Saint-Saëns, la raison, nous venons de le voir, en est également le juge. Et toujours elle décide en leur faveur. Mais, après le Poussin, écoutons aussi Beethoven. A peine a-t-il dit : « La musique est esprit, » qu’il ajoute aussitôt : « et elle est âme. » Cela, tout cela, est vrai de la musique classique elle-même, y compris la musique, au moins certaine musique d’un Saint-Saëns. De la seconde vérité, le maître ne convient pas tout à fait, ni tout de suite. Ce fut et c’est parfois encore le sujet d’un débat affectueux entre l’illustre musicien et certain critique, de ses admirateurs et amis. Nous connaissons un peu l’affaire, en possédant les pièces principales, et nous pouvons, brièvement, l’exposer.

De M. Saint-Saëns à son correspondant (4 février 1907) :

« Cet art pour l’art, dont vous ne voulez pas, c’est, qu’on le veuille ou non, la forme, aimée et cultivée pour elle-même… La recherche de l’expression, pour légitime et véritable qu’elle soit, est le germe de la décadence, qui commence du moment que la recherche de l’expression passe avant celle de la perfection de la forme… Si le principe que je viens d’énoncer n’était pas vrai, si la recherche de l’expression constituait un progrès de l’art, le Laocoon serait supérieur à l’Hermès de Praxitèle. »

Une autre fois (du 3 mars 1907) :

« L’art est fait pour exprimer la beauté et le caractère ; la sensibilité ne vient qu’après et l’art peut parfaitement s’en passer. C’est même tant mieux pour lui quand il s’en passe. Comme je vous l’ai démontré, avec la sensibilité s’introduit en lui le germe de la décadence et de la mort. Il n’y a pas de sensibilité dans la première fugue du Clavecin bien tempéré, et c’est de l’art le plus grand. »

Quelques années plus tard (février 1914) :

« J’ai dit et je ne cesserai de le redire, parce que c’est la vérité, que la musique, comme la peinture et la sculpture, existe par elle-même en dehors de toute émotion. L’émotion, la sensibilité lui donnent la vie, mais cette vie, comme la vie elle-même, contient un germe de mort. Plus la sensibilité se développe, plus la musique et les autres arts s’éloignent de l’art pur, et lorsqu’on ne cherche que des sensations, l’art disparait. »

Sur ce dernier point et ce dernier terme, « des