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terreur sacrée et de volupté qui n’est pas sans charme ; du moins je l’espère. »

Et plus tard, en 1909, un auditeur d’Henry VIII qu’avaient ému les adieux de la reine Catherine à ses femmes, recevait de l’auteur ce billet : « Savez-vous que si j’ai rendu à votre satisfaction les tristesses de Catherine mourante, c’est que j’étais moi-même assez moribond quand j’ai écrit ce quatrième acte ? Je ne sais comment j’ai pu sortir de ce mauvais pas pour arriver à mon âge. Ces adieux à la vie, je croyais les faire moi-même, et c’est pourquoi j’y ai mis tant de sincérité. »

Le grand musicien pourra-t-il contester encore la faculté, la valeur expressive de la musique, après avoir avoué que par sa musique à lui, ses propres sentimens, avec ceux d’un de ses personnages, se sont un jour, ne fût-ce qu’un jour, exprimés ? Aussi bien cette musique, la sienne, en maint endroit, témoignerait assez haut dans notre propre sens. Avant tout, l’un des genres où M. Saint-Saëns excella, le poème symphonique, n’est-il pas, se proposant de raconter, de représenter ou de décrire, expressif en quelque sorte par nature et par définition ? Les autres œuvres du maître abondent en images ou en tableaux sonores. Il y en a de toute espèce et de dimensions variées. Dans l’oratorio du Déluge, c’est le cataclysme biblique. Dans le Déluge encore, dans la Lyre et la Harpe et jusque dans cette fantaisie ou cette pochade, le Carnaval des animaux, qui n’est pas seulement spirituelle, c’est une véritable collection de croquis zoologiques, depuis l’éléphant et l’aigle, jusqu’au cygne et à la colombe. Tous ressemblans, tous vivans, ils ne sont pas loin, pour la puissance ou la grâce, pour la poésie et la vérité, de faire songer, — encore un souvenir classique, — à quelque La Fontaine musicien.

Qu’est-ce enfin que l’exotisme, — un dernier caractère de la musique de M. Saint-Saëns, et qu’il ne faut pas négliger, — sinon le goût de représenter ou d’exprimer par les sons des choses lointaines et rares ? Nous devons à ce goût mainte composition du maitre : une Suite algérienne, une Valse canariote, une Africa, bien d’autres encore, et par-dessus toutes les autres, le cinquième concerto pour piano (l’égyptien), dont le second tempo est peut-être le chef-d’œuvre du musicien voyageur, ou de sa musique de voyage. Et s’il vous parait d’abord que l’exotisme, par ce qu’il a de spécial ou d’extraordinaire, s’accorde