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plaine sans borne. Pauvre au premier aspect, elle s’entoure d’un silence impressionnant. Pas un village, l’immensité, l’absence des hommes. C’est un des pays les plus giboyeux du monde. Au milieu de hardes d’antilopes dont les variétés sont innombrables, depuis la plus minuscule gazelle jusqu’à la grande antilope cheval, le léopard exerce sa loi sous la suzeraineté incontestée du grand lion africain. Vers le Victoria, les rhinocéros se rencontrent en grand nombre et les rivières y sont d’un abord dangereux, car le crocodile foisonne. Pour les yeux, c’est une féerie où tous les tons de vert, du plus pâle au plus foncé, se jouent dans une gamme infinie. La Kagera qui sépare le Ruanda du Bukoba s’enfuit rapide et bruyante. Large de quatre-vingts mètres, elle subit de brusques variations de niveau. Les chutes en cataractes de trente mètres de haut n’y sont point rares, et tout ce qu’elles entraînent est voué à l’oubli. Parfois, s’approchant trop de ces rapides mortels, crocodiles et hippopotames eux-mêmes ne peuvent lutter contre la violence du courant et ils s’en vont, à l’inverse du grand saumon qui remonte frayer dans les rivières, mais pour être broyés, déchiquetés en mille pièces sans que jamais le fleuve restitue rien de leurs dépouilles.

Ce fut en se rendant de la Kagora vers Biaramulo qu’une colonne de la brigade Molitor dut, par un après-midi torride, traverser un incendie de brousse. Tout à coup, l’on entendit au loin comme un gigantesque roulement de tonnerre. Puis, bientôt, le bruit devint plus net et ce fut plutôt une fusillade infernale où les coups de feu se superposaient sans cesser d’être distincts. Les flammes dévorent la plaine et le vent promène à la plus folle allure des lueurs aux zigzags sinistres. Aussitôt, porteurs et soldats déposent qui sa charge, qui ses armes et d’un seul mouvement se portent au-devant des flammes. Sans la moindre émotion et comme exécutant un rite familier, ils fauchent tout ce qui se trouve devant eux. Le vide assure alors une barrière devant le feu privé d’aliment et, sans plus s’inquiéter la colonne, poursuit de son pas rythmé.

Dans le Kisiba, vers le port de Bukowa, dans la région de Kamachumu et au milieu du Karagwe, les Allemands résistent avec au moins mille fantassins armés de mitrailleuses et de canons sous les ordres du hauptmann Godovius. Pour leur tenir tête les Anglais avaient dû immobiliser sur la Kagera leurs