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l’intelligence, et ce qu’on a nommé chez un autre, à une autre époque, « une chance verdoyante. » Mais la chance, à supposer qu’elle soit seule, quand elle persiste ou se renouvelle à ce point, est presque une vertu, car on n’est jamais constamment ni complètement heureux sans l’avoir un peu mérité. L’homme d’État français qui unit au plus grand talent et au plus vaste savoir la plus longue expérience, M. Alexandre Ribot, a été chargé de recueillir et de partager la succession. Il a eu le double mérite de réussir, et de réussir vite, en vingt-quatre heures. Les remplaçons, pris en partie à l’opposition de la veille, — et c’eût été le jeu classique, si le Cabinet Briand eût sûrement perdu la majorité, ce que ses partisans contestent, — ne se sont pas dérobés. A la première rencontre, sur sa déclaration, le ministère Ribot a groupé 440 voix, et ne s’est heurté mollement qu’à une quarantaine d’abstentions, et une centaine d’absences qui se prolongeront plus ou moins. La déclaration elle-même inviterait a des réserves, en ce qui touche par exemple les garanties de la future paix et lu bien plus future encore « société des nations. » Nous sommes parfaitement résolus à ne point laisser, le moment venu, sacrifier à une idéologie nuageuse les leçons, les conditions et les principes d’une politique sagement et honnêtement réaliste. Nous entendons n’opérer alors que conformément au manuel d’une politique française positive. En attendant, qu’y a-t-il de changé ? Il y a d’autres ministres, un autre ministère. Y a-t-il un gouvernement ? Pour qu’il y en eût un, il faudrait qu’eût été nettement répudiée la maxime d’État, trop commode, du « n’importe qui, n’importe où. » Mais n’exagérons rien, espérons, et répétons-nous que, si les hommes conduisent les petits événemens, les grands événemens les conduisent. La France a le cœur et la tête aux armées : les Allemands ne sont tout de même plus à Noyon.

Tandis que se faisait chez nous ce changement superficiel, il s’opérait, en Russie, un bouleversement profond. Nous écrivions à cette place, le 1er février : « La Russie évolue très vite, si rien ne traverse son chemin, vers un césarisme de type classique, c’est-à-dire sollicité par la démagogie, sous le couvert de formes et de formules parlementaires. » Et nous remarquions : « Qu’est-ce en somme que la Russie ? Hier, une autocratie-aristocratie-bureaucratie; aujourd’hui, une autocratie-bureaucratie-démocratie ; demain, une autocratie-démocratie. » L’accouplement pouvait surprendre, bien que, théoriquement, les deux régimes ne soient pas inconciliables, et que, historiquement, ils se soient parfois conciliés. Mais, des deux termes de la