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ROUEN PENDANT LA GUERRE.

démesurées, légèrement méfiante, peu expansive, quand, un jour, ce fut la guerre.

La population était sous la menace de l’invasion ennemie, quand elle aperçut pour la première fois dans ses rues ces soldats inconnus qui débarquaient en Normandie. On pouvait se demander comment, prudente, circonspecte, toujours sur la réserve, elle accueillerait ces régimens alliés, qui tout d’un coup, du jour au lendemain, venaient élire domicile en ses murs, établir chez elle leur chez eux, se mêler à son existence, pénétrer dans son intimité. Quel visage allait-elle leur montrer ? Ces Anglais, en arrivant, ne lui trouveraient-ils pas cette physionomie fermée, muette et scrutatrice de qui déteste l’imprévu, défend sa vie secrète, marchande ses amitiés ?

Théoriquement, on l’aurait prédit. Mais les circonstances étaient de celles qui du premier choc brisent les glaces les plus froides. L’âme rouennaise, une fois troublée, une fois émue, laisse vite apercevoir les ressources cordiales dont elle est si jalouse, qu’elle ignore souvent. Lorsqu’on vit à Rouen arriver ces uniformes kakhi si peu militaires pour l’œil habitué aux couleurs brillantes de nos troupes, les bras se tendirent, on jeta des fleurs et des baisers, le sentiment si doux, si profond de l’alliance des patries envahit, força les cœurs. Les Anglais étaient l’appui, la force amie, les loyaux auxiliaires : le Rouennais sagace et avisé ne pouvait le méconnaître. Nos alliés se souviendront toujours du sourire qui les accueillit au premier jour.

Les Anglais devaient modifier complètement l’aspect de Rouen. C’est qu’il ne s’agissait pas d’un point de passage de troupes, ni même d’un casernement, mais d’un établissement, véritable succursale militaire de l’Angleterre en armes, et que résume parfaitement le mot anglais de base donné à cette vaste formation.

Tous les services de l’armée : Intendance, Artillerie, Cavalerie, Automobiles, Santé, ont un siège à Rouen. Il ne fallait pas que l’installation eût un caractère improvisé ou le précaire d’un domicile d’emprunt. Pour que la vie militaire anglaise palpitât largement, librement, il était nécessaire que ce fut dans une atmosphère anglaise et avec une impression de commodité, d’aisance, de stabilité, de chez soi. La ville devint donc commune aux Rouennais et à l’armée britannique. Ce ne fut