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continuent à vibrer sur le mode mineur des gouzlars. De là le ton grave sur lequel est célébrée la mort de Marko. L’ascension de la montagne, le présage lugubre du cheval qui bronche, la voix solennelle de la Vila, le héros qui se dépouille de ses armes, son sabre et sa lance brisés, sa massue jetée à la mer, autant de symboles du destin de la Serbie. cette scène est empreinte, en sa forte couleur, de la majesté des grandes choses qui finissent, et qui, avant de finir, établissent leur bilan et font leur pacte avec l’éternité où elles rentrent. On y entend l’appel de l’homme à l’Eternel et la voix de l’Eternité, qui retombe sur l’homme comme l’écho de la montagne avec la voix du héros disparu.


IV. — LES GUERRES D’INDÉPENDANCE ET LA RESURRECTION DE L’AME SERBE

Après la prise de Constantinople par les Turcs, sous le terrible Mahomet II, les peuples balkaniques furent décapités de leurs seigneurs nationaux. Quelques familles de chefs chrétiens se maintinrent en Albanie et en Herzégovine. En Bosnie, ils se convertirent en masse à l’islamisme pour ne pas périr. En Serbie proprement dite, ils furent balayés, expulsés ou tués. Le Sultan, qui était déjà le souverain de la Serbie tributaire, en devint le tyran et l’exploiteur. Les pachas remplacèrent les voïvodes ; les clefs des villes furent livrées à la redoutable corporation des Janissaires, qui s’y installèrent en maîtres insolens. Tous les villages et toutes les terres furent distribués entre les spahis. Les anciens propriétaires ou raïas se virent dépouillés et descendus au rang de fermiers chargés de lever le tribut. Les paysans travaillèrent comme serfs de la glèbe pour le Grand Turc et ses exécuteurs. Pour se figurer la dureté de ce régime, il faut se rappeler ce précepte de la religion musulmane alors appliqué dans toute sa rigueur : « Toute terre appartient au Kalife, l’ombre et le représentant de Dieu sur la terre, » et la mentalité turque dont le principe est que les croyans sont faits pour commander et les non croyans destinés à travailler pour eux. Les premiers sont les maîtres absolus, de naissance et d’office, les autres des esclaves à tout jamais. Les Turcs peuvent donc réclamer l’honneur d’être les ancêtres de la théorie pangermaniste. Les docteurs en teutonisme, MM. Ostwald et Lasson, qui voudraient faire suer sang et eau à toutes les races