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servent de base, il marque ainsi, à l’égard de l’intelligence critique, une défiance qu’il est permis de trouver excessive, et qu’on ne saurait accepter sans réserve. Mais qu’importe que ce pragmatisme d’un nouveau genre nous apparaisse un peu désarme en face de la raison et de la foi tout ensemble ? Ce qu’il faut surtout retenir du livre d’Émile Faguet, c’est qu’il constitue l’une des plus brillantes et des plus vigoureuses apologies que l’on connaisse de l’institution sociale. Personne peut-être n’aura mieux mis en lumière les « croyances, axiomes, doxies, » « préjugés, » si l’on veut, mais « préjugés nécessaires » à l’existence même de la société, et personne n’en aura mieux établi l’absolue « nécessité » pour toute société qui veut vivre et se perpétuer.


IV

On peut discuter assurément, — on peut toujours discuter, — les dix petits volumes où Émile Faguet a condensé toutes ses idées essentielles sur les questions morales, ou même religieuses, a ramassé les principaux conseils de son expérience. Mais, quand on vient de les lire, on est surtout frappé de ce qu’ils renferment de pensées justes, piquantes, ingénieuses, souvent profondes, et, sous une forme vivante et familière, de sagesse mélancolique ou souriante. Émile Faguet s’est mis là tout entier : avec sa verve, son bon sens, sa franchise, son agilité intellectuelle, sa finesse et sa lucidité d’esprit, sa grâce aussi et ses étonnantes improvisations de style. Quelques-uns de ces livrets sont charmans, et je sais de bons juges qui préfèrent le traité de la Vieillesse au De senectute. Les uns et les autres sont d’un véritable moraliste. Émile Faguet avait du sang de Rivarol dans les veines, et il en était assez fier : Rivarol se serait bien des fois reconnu dans les Dix commandemens. Ces petits traités ne s’analysent pas et ne se commentent guère : il y faudrait de trop longues pages. Tu t’aimeras toi-même ; — Tu aimeras ta compagne ; — Tu aimeras ton père, ta mère et tes enfants ; — Tu aimeras ton ami ; — Tu aimeras les vieillards ; — Tu aimeras ta profession ; — Tu aimeras ta Patrie ; — Tu aimeras la vérité ; — Tu aimeras le devoir ; — Tu aimeras Dieu ; tels sont les préceptes de ce nouveau Décalogue. Est-il, dans l’ensemble, fort différent de l’ancien ? C’est ce qu’il importe d’examiner brièvement.