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pour sauver l’Empereur, et, ensuite, la révolution ayant pris un cours irrésistible et l’abdication étant devenue inévitable, pour conserver la dynastie, auront fourni la preuve de leur entière bonne foi.

Lorsque, au printemps de l’année dernière, une délégation de députés russes alla visiter les pays alliés, nous eûmes l’occasion de faire dire en France à plusieurs personnes : « Ce sont probablement les membres du futur gouvernement de la Russie qui se rendent à Paris. » Et il est vrai que M. Protopopof, alors vice-président libéral de la Douma, devait, quelques semaines après son retour, devenir ministre de l’Intérieur, mais pour quelle besogne et dans quelles conditions ! Quant à M. Milioukof, le voici aujourd’hui ministre des Affaires étrangères du régime nouveau, après avoir été maintes fois, sous le régime ancien, le conseiller du Pont-aux-Chantres. C’est un fait, peu connu, mais bien significatif, que M. Sazonof, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, écoutait volontiers les avis de M. Milioukof, spécialiste des questions de politique extérieure à la Douma et dans le journal du parti cadet, la Rietch, dont il était le véritable directeur. On voit donc qu’il n’y avait pas, alors, entre le monde gouvernemental et les élémens les plus libéraux de la Douma, un abîme infranchissable, que de nombreuses communications existaient même, enfin qu’un arrangement amiable et une collaboration pouvaient apparaître comme une sérieuse probabilités.

Nous avons raconté ici[1] comment, au mois de février 1916, Nicolas II, heureusement inspiré, était venu assister à l’ouverture de la Douma. Ce fut une surprise joyeusement saluée, un événement qui parut annoncer un nouveau cours. L’Empereur lui-même se rendait compte de l’importance et de la signification de son initiative, car il parvenait mal à dissimuler son émotion. On lisait sur son visage les pensées qui l’agitaient, le combat intérieur qui se livrait en lui. Évidemment il lui avait fallu vaincre un puissant préjugé pour franchir, — c’était la première fois, — la porte du palais de Tauride. Il y avait dans son regard de la curiosité et de l’inquiétude, comme s’il fût entré dans un repaire d’anarchistes. Par instans, d’un mouvement nerveux, comme s’il eût étouffé, il faisait le geste de

  1. Voyez la Revue du 15 août 1916.