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révolutionnaire : dès que le germe en est éclos dans l’État, il l’a bientôt envahi tout entier. La Douma a été aussitôt débordée par la réunion publique de seize cents membres, — à présent deux mille quatre cents, — ouvriers et militaires, qui, tandis qu’elle s’installait au Palais d’Hiver, l’a remplacée au Palais de Tauride. Son comité exécutif, le gouvernement provisoire, doit compter avec le Comité mixte d’ouvriers et de soldats. Composé comme il l’est dans son ensemble, et présidé comme il l’est, le gouvernement provisoire serait fait pour inspirer confiance : tout ce qu’il a dit jusqu’ici, presque tout ce qu’il a fait, est excellent. Il a très sagement apaisé une rancune, en rappelant la Diète finlandaise, en restaurant la Constitution de Finlande, trop oubliée depuis 1899 ; il a écarté un péril et déjoué une machination, en adressant sa proclamation à la Pologne. De même, en ce qui concerne l’alliance et la guerre, son attitude a été parfaite. Tout ce qu’on pourrait redouter de lui, ce serait un peu de débilité girondine : il est permis de prendre la comparaison dans notre histoire, puisque, consciemment ou inconsciemment, la révolution russe y prend en partie ses exemples, peut-être parce que les révolutions sont des gestes que les peuples portent « clichés » dans les moelles et que, dans les mêmes conditions, ils refont toujours sous le même angle. La coexistence du gouvernement provisoire et du Comité mixte Ouvriers-Soldats nous fait songer, malgré nous, à notre 1848, à son gouvernement provisoire et à sa Commission pour les travailleurs, avec cette aggravation que la Commission du Luxembourg ne disposait que de quelques « citoyens à cheval » comme plantons, et que celle du Palais de Tauride est formée pour moitié de « délégués » des régimens. Et plût à Dieu que l’enchaînement de nos souvenirs se rompît là, et que nous demeurions dans la candeur, légèrement teintée de niaiserie, de notre 1848 ! Mais la chaîne nous tire, et nous remontons. Voyez : l’Empereur est enfermé à Tsarskoïé-Sélo avec l’Impératrice ; ses plus anciens serviteurs le fuient; trois fois par jour, il est soumis à une visite qui doit constater sa présence. Le haut personnel du palais a été envoyé dans les cachots de la forteresse Pierre-et-Paul, à Pétrograd ; les grands-ducs sont ou emprisonnés, ou consignés, ou déportés dans leurs terres lointaines, sous la garde de commissaires. Leurs terres ? ce ne sont plus les leurs, elles sont séquestrées, comme les propriétés mêmes du Tsar, et même celles de son domaine privé. Par l’importance qu’y a la prise de possession de la terre, la révolution de Russie, sans qu’elle cesse d’imiter, est spécifiquement russe, spécifiquement slave. Une révolution slave ne serait pas la révolution, si elle n’était