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répétaient qu’on allait partager les terres, et que ce serait tant pis pour ceux qui ne seraient pas là, ils étaient partis pour leur village. On nous annonce qu’ils en reviennent, et on nous donne à espérer que, dans un mois ou dans six semaines, l’armée russe, remise en main, sera prête à recevoir le choc, instruite par la leçon du Stokhod, ardente à maintenir la jeune liberté, embrasée, comme d’un feu nouveau, de l’enthousiasme républicain. Il nous est agréable d’en accepter l’augure. Mais comment oublier que, d’ici à un mois ou six semaines, c’est le destin d’un siècle qui peut être joué ?

D’autant plus que la manœuvre perçante de l’armée allemande s’accompagne d’une manœuvre enveloppante de la diplomatie austro-allemande, à laquelle collaborent, en un accord édifiant, les chancelleries et la social-démocratie. Le signal de cette seconde manœuvre a été donné le 12 avril, de Stockholm, à un journal hongrois ; c’est le gouvernement autrichien qui l’a intercepté, et c’est le ministre impérial et royal des Affaires étrangères, le comte Czernin, qui, dès le 15, s’est empressé d’y répondre. Le gouvernement provisoire de Russie venait de publier, le 14, une déclaration, dont il plaisait au comte Czernin de retenir que ce gouvernement ne se proposait « ni d’opprimer d’autres peuples, ni de leur enlever leur patrimoine national, ni de s’emparer de territoires étrangers, mais qu’il veut, tout à l’opposé, déterminer une paix durable, fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. » Saisissant la balle au bond, l’Autriche-Hongrie, cette colombe, par la bouche de son ministre, roucoulait : « Mais alors, on peut s’entendre ! » — « Parfaitement, on peut s’entendre ! » appuyait, de Berlin même une plus grosse voix, sous le masque de l’officieuse Gazette de l’Allemagne du Nord. L’indépendance des peuples, le respect de leur patrimoine national, leur droit de disposer d’eux-mêmes, la paix durable, c’est notre affaire ! » Sans perdre une minute, on ramassait en Suisse tout ce qu’on trouvait de proscrits russes ; en Hollande, en Scandinavie, chez les neutres, et hélas ! chez certains belligérans, tout ce que le socialisme neutraliste et pacifiste entretient d’ambassadeurs en disponibilité. En dépit de l’encombrement, l’administration des chemins de fer de l’Empire faisait chauffer un train spécial, et par la voie la plus rapide acheminait les missionnaires vers le théâtre de leurs travaux. Tandis que la plupart s’arrêtaient, par force, en Suède, le Russe Lénine rentrait dans son pays, mais ses théories, si ce n’est sa personne, n’y rencontraient pas, il n’est qu’équitable de le reconnaître, auprès des extrémistes eux-mêmes, l’adhésion qu’il s’était promise. Les