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[1]. » On n’est plus, de nos jours, discrédité pour si peu, et ce sont là délicatesses abolies.

Mais, en dehors de ces bonnes façons qui s’apprennent vite dans les fréquentations élégantes, on trouvait, jadis, répandue par tout le pays et dans toutes les classes, une politesse bien autrement précieuse en ce qu’elle venait du cœur et marquait, outre un désir de plaire poussé jusqu’à la coquetterie, une sorte de besoin inné de dévouement, un altruisme, un don de soi-même joyeusement offert et spontanément exprimé. Tous les Français étaient affables, et cela si naturellement qu’ils ne s’en doutaient pas, tant cette délicieuse qualité s’harmonisait alors avec leur caractère et résultait, pour ainsi dire, de l’équilibre de la nation. Aussi n’est-ce que dans les relations des voyageurs venus de l’étranger qu’on peut rencontrer mention de cette courtoisie charmante qui nous distinguait, et bien à notre insu, de tous les autres peuples. Il en est une, écrite par un Allemand, accouru chez nous dès les premiers troubles de la Révolution, dans sa hâte de juger les coups et de respirer l’air enivrant de la liberté. C’est un certain Campe, originaire, je crois, de Brunswick ; dès son entrée sur notre territoire, il est dans l’extase ; les postillons sont prévenans, de belle humeur, honnêtes, polis et probes ; jamais la moindre plainte, la plus légère dispute. Aux relais. Campe ne voit que des gens rieurs, courtois et empressés ; à la poste de Cuvilly, entre Roye et Senlis, il est hébergé dans une maison « semblable à un petit palais » par une famille « aimable et distinguée. » Il lui advient même là une petite aventure dont il demeure quelque temps penaud : le cabriolet est resté, dételé, sur la route ; personne ne le surveille, et Campe s’inquiète de laisser son portemanteau dans cette voiture abandonnée. L’aubergiste auquel il confie ses craintes le prie d’examiner les portes de sa maison et de sa cour ; pas une clef, pas une serrure ; de simples loquets. « Est-ce qu’on vole donc en Allemagne ? » demande le brave hôtelier. Campe avoue qu’il ne put s’empêcher de rougir et qu’il détourna la conversation.

Le voici à Paris depuis plusieurs jours : « J’en suis encore à chercher, écrit-il, un exemple de grossièreté ; je n’ai jamais assisté à une querelle, même dans les endroits où la foule

  1. De Boigne, I, 44.