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soient pas jugées plus rassurantes. Volontiers, les officiers qui ont des lettres crieraient-ils aux augures du corps de Santé : « Des coups d’épée, messieurs, des coups d’épée, mais pas de coups d’aiguilles ! » En général, moins saturés de réminiscences littéraires, les soldats se contentent d’exhaler leur étonnement par des doléances plus vulgaires : « Mais que leur ai-je donc fait ? Voilà huit fois qu’ils me piquent ! c’est-il que leurs drogues ne valent rien ? Alors, pourquoi recommencer ? — T’en fais pas, mon vieux ! Il faut que nous laissions notre peau à la guerre. Les médecins ont juré de nous avoir, soit par le bistouri, soit par la seringue ! » Tel qui sortit le premier d’une tranchée de départ malgré un violent tir de barrage, frissonne devant l’aiguille fine ; tel autre qui supporta sans chloroforme quelque douloureuse intervention chirurgicale, défaille presque à la vue de la gouttelette de sang vite effacée par le tampon d’ouate ; le vieux colonial saturé de quinine s’effare à la pensée de la petite fièvre que lui donnera le vaccin. Les ruses les plus astucieuses sont essayées pour « couper » à la cérémonie que préside le médecin-chef. Mais les commandans de compagnie, qui ont donné l’exemple du respect des règlemens, veillent à ce qu’il soit imité. Ils sauront bien envoyer à la a séance des retardataires » les subordonnés malins qui ont trouvé un prétexte plausible pour s’esquiver.

Les temps sont bien changés depuis l’époque déjà lointaine où les polémiques du docteur Vincent et du professeur Chantemesse laissaient perplexes les grands chefs du Service de santé. Alors, dans le doute, on laissait les militaires libres de leur choix. N’étaient vaccinés, après d’innombrables réserves, que ceux qui daignaient y consentir. Je me souviens d’une circulaire qu’il fallait commenter, au Maroc, en révélant à la troupe les avantages et les inconvéniens du vaccin préventif. Selon le degré de pression exercé par le chef, il y avait peu. ou beaucoup de volontaires pour l’essai d’un sérum discuté : « Je regrette presque, disait un soldat après un de ces appels sans chaleur qu’on faisait à leur instinct de la conservation, je regrette presque de n’avoir pas donné mon nom. — Bah ! répondit un camarade, si c’était si fameux qu’on le dit, on ne nous demanderait pas notre avis. » Maintenant, les diverses vaccinations sont à peu près adoptées par les mœurs militaires. Chacun les accepte comme un de ces devoirs professionnels auxquels on ne