Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Victor Hugo a d’abord traité et à mainte reprise, c’est la nostalgie de l’exilé. Si la « corde d’airain » vibre à l’ordinaire dans Les Châtimens, on y lit aussi une chanson douce et triste [1], — plus triste à nos oreilles d’exprimer la détresse lointaine de tant de Français, — la chanson du proscrit que torture le souvenir du sol natal, du champ d’orge et de la charrue abandonnés, de la maison aux vitres claires, égayée de fleurs, et qui meurt de n’avoir plus qu’une moitié de son âme.


On ne peut pas vivre sans pain :
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie.


Les roses mêmes du printemps n’ont pour lui ni parfums, ni couleurs. Car au pays d’exil le ciel est étroit, la lumière avare, elle mois de mai sans la France, « ce n’est pas le mois de Mai. » — Ainsi songeaient déjà au Ve siècle, après l’invasion de Xerxès, Cynthée l’Athénien et le Spartiate Méphialtès [2] ; tous deux bannis, ils ne pouvaient que faire des vœux pour qu’Athènes fût chérie du ciel, et Sparte « invincible à jamais. » — Mais le régime impérial s’écroule dans la tourmente. Le poète repasse la frontière à l’heure où l’étranger la viole ; il assiste à l’effondrement de la France vaincue par la Prusse, à « l’arrachement de Metz et de Strasbourg. » Alors ce sont des hymnes de tendresse, des cris d’amour : « O ma douce patrie ! O ma colombe ! » Français, Hugo souhaiterait presque de ne pas l’être par la naissance, afin d’élire la France comme patrie. Lui qui répandait sa pitié sur tous les souffrans, il souffre « dans la France, » il n’est plus que le fils qui voit saigner sa mère.

Et quelle mère !... Depuis le début de cette guerre, et aux plus sombres jours, ça été un de nos réconforts de voir grandir dans le monde, émerveillé de ses vertus, le prestige moral de notre pays. C’est d’Annunzio qui, la veille de l’intervention italienne, écrivait à la fin d’un sonnet : « France ! France ! sans toi le monde serait seul ! » C’est l’Américain Edison qui, dans une déclaration récente, proclamait son enthousiasme pour la Fiance, « la nation la plus splendide que le monde ait jamais connue, » et dont la ruine serait la plus grande catastrophe qui put frapper la civilisation. Ce sentiment que la mort de la France laisserait l’univers orphelin, que capable de tous les

  1. Les Châtimens. Livre VII, 6.
  2. Légende des siècles. Nouvelle série, I, 5. Les Bannis.