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et ce que, gênée, rongée par une faute initiale, elle est capable ou incapable de rapporter.

Depuis le mois de mars, pour dire crûment la vérité, il n’y avait presque plus de front russe. La crise que le gouvernement provisoire a récemment traversée, et d’où il est à peine sorti, aura peut-être été salutaire. On sait quelle en fut l’origine et par quelle série d’incidens elle en est venue à cet aboutissement. Les différentes phases en ont été suivies au jour le jour avec une attention si avertie qu’il serait superflu de les retracer ici. Nous nous bornerons à les rappeler d’un mot. Le gouvernement provisoire a senti, comme tout le monde le sentait, mais avec bien plus de raisons et bien plus de force que personne, qu’il fallait que la Russie eût un gouvernement et qu’elle n’en eût qu’un ; qu’une révolution n’est achevée que si elle substitue un régime à un autre, un régime qui vaut ce qu’il vaut à un régime qui valait ce qu’il valait, néanmoins un régime défini, connu et reconnu, ordonnant, obéi, ayant forme et figure ; et qu’enfin l’anarchie est une dissolution, mais n’est pas une solution, puisque, par elle, on se traîne sans arriver ni à vivre ni à mourir. D’abord entravé par le Comité des ouvriers et des soldats, contrôlé, contenu, puis contesté, contredit, débordé et défait par lui, impuissant probablement à s’en délivrer en le dispersant, il a pris le parti de se l’associer en appelant à l’exercice du pouvoir régulier quelques-uns de ses membres les plus populaires. Et il se peut qu’il n’y eût pas d’autre parti à prendre, bien qu’il ne soit pas tout à fait aussi vrai de dire des socialistes révolutionnaires, surtout en pleine révolution, ce qu’on a dit des radicaux ; qu’un radical ministre n’est plus un ministre radical. Cet assagissement, cet apaisement par absorption est comme la soupape de sûreté des gouvernemens démocratiques (qu’on nous pardonne l’incorrection de l’image). Les partis extrêmes ont des nerfs qu’il est plus prudent, quand on ne veut ni ne peut recourir à l’argument suprême, de détendre que d’exaspérer ; tant mieux si le procédé réussit au gouvernement provisoire de la Russie, et s’il y gagne d’être désormais le gouvernement unique et nécessaire que le Comité du Palais de Tauride annihilait et annulait en le doublant.

C’est le 10 mai, par un manifeste de M. Kerensky, lui-même socialiste, et alors ministre de la Justice, qui se sentait un peu comme un otage parmi ces « bourgeois notables » de la Russie « censitaire, » qu’il fit connaître son intention : « J’ai dû à mes risques et périls, déclarait M. Kerensky, prendre la représentation dans le gouvernement provisoire de la démocratie ouvrière désorganisée. Aujourd’hui, je considère