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âmes qui ne sont point des âmes, n’ayant ni charité, ni sensibilité, ni seulement ce peu d’imagination qui vous alarme sur la douleur des autres et vous invite à compatir.

Il y a, dans ces Lettres à une dame blanche, les portraits de maintes Clotildes et de maints « rigolos » qui veulent oublier la guerre. Il y a aussi d’assez bonnes gens qui n’oublient pas la guerre, mais enfin qui ont trouvé le moyen de s’en accommoder. Et d’autres en profitent : ceux-là, ce ne sont pas de bonnes gens. M. Donnay ne s’attaque pas aux plus mauvais et dont les fautes ont de quoi choquer tout le monde. Il malmène les demi-coupables : et de grands coupables encore, si la guerre ne leur est pas une souffrance quotidienne et si, de la souffrance, ils ne font pas de la pitié. Il les malmène, à sa façon qui n’est pas brutale. Il les taquine ; mais avec une si adroite justesse que ses victimes auraient mille fois raison de préférer les coups à une telle taquinerie. Jamais il ne se fâche ou ne s’emporte ; mais, souvent, au frémissement de la phrase, il est facile d’apercevoir son impatience. Et, comme l’impatience n’a ici d’autre motif que les sentimens les plus proches du cœur, froissés par le futile égoïsme des badauds, cette satire des badauds, c’est une élégie de la guerre. Ainsi la moquerie est toute mêlée de mélancolie, le rire voilé de larmes. Cette discrétion qui atténue de gaieté le chagrin, de chagrin la gaieté, a une grâce qu’on trouve en plusieurs ouvrages de M. Maurice Donnay et qui, dans ces Lettres, émeut infiniment. Puis, il arrange les mots au gré de sa délicate pensée, avec un art qui ne se voit presque pas, avec un art si ingénieux, si habile qu’on le cherche et ne le découvre pas. Il écrit à la dame blanche : « Un des résultats de la grande guerre sera de rendre à la littérature de la spontanéité. Un plus grand nombre d’écrivains oseront être eux-mêmes, se donner, s’abandonner... » Je n’en suis pas sûr ; et même je ne suis pas sûr qu’on doive beaucoup le désirer. Un plus grand nombre d’écrivains ! Et ils se donneraient, s’abandonneraient !... En se donnant, que donneraient ils ? Et, quelques-uns. leur abandon ne vaut pas qu’ils renoncent à être un peu guindés. « Ils pourront être sincères... » Veuillent-ils ne l’être pas tous ! Mais la sincérité de M. Donnay, et dans ces Lettres, est ravissante. Il était délicieusement naturel dès avant la guerre ; et l’on n’a pas attendu la guerre aussi pour aimer qu’il le fût. Naturel avec un tour qui est de lui ; et il ne s’applique pas du tout, mais il ne fait que céder à son cœur et à son esprit pareils, s’il écrit de ces pages adorables qu’on ne saurait traduire en aucune autre langue, tant le son des syllabes et la mélodie