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angoisses sur aujourd’hui, que ses inquiétudes sur demain. Comme elle sait, par une expérience d’un demi-siècle, que le pavillon fait plus que de couvrir la marchandise, qu’il l’estampille, et que le commerce suit la victoire, elle doute du fer puisqu’elle doute de l’or, et, puisqu’elle doute du marché, elle doute du drapeau.

En Espagne, s’élèvent, pour nous, les voix les plus chaudes, les plus éloquentes. Il serait injuste et maladroit de laisser croire que seuls des adversaires ou des indifférens y ont la parole. Dans cette même Plaza de Toros, qui entendit naguère les réticences et les équivoques de M. Maura, en présence de vingt mille personnes, dont beaucoup peut-être étaient les mêmes, les orateurs des gauches, professeurs illustres ou députés en vue, MM. Albornoz, Ovejero, Castrovido, Menéndez Pallarès, Unamuno, Melquiades Alvarez et Lerroux, nous ont apporté de nobles et touchans témoignages, qui nous induiraient en péché d’orgueil, si la France, en armes pour une cause si juste qu’elle en est sainte, n’avait le droit d’avoir toutes les fiertés.

Qu’elle les ait toutes, pourvu qu’elles lui ouvrent des sources et lui fournissent des raisons de fermeté. En d’autre temps, elle eut l’audace : dans le nôtre, il lui suffira d’avoir de la persévérance. Vouloir et tenir, tenir et vouloir, c’est, « à cette heure de la guerre la plus dure et la plus rude, » le grand secret. Ne pas affaiblir, ne pas énerver notre effort militaire par le fléchissement de notre sens politique ; ne pas couper, de l’arrière, les jarrets à l’avant. Voir clair, mais assez loin, ne pas voir en myope ; ne pas fixer trop près de nous des « buts de guerre » contre lesquels irait se briser notre élan. Non seulement ne pas désespérer, mais espérer plus qu’on ne désire. Prenons exemple sui l’Italie. Ce qu’elle veut par-dessus tout, c’est Trieste et c’est le Trentin. Mais elle profite de ses succès de l’Isonzo et du Carso pour proclamer l’unité et l’indépendance de l’Albanie sous sa protection. Elle se munit d’une monnaie d’échange, se prémunit contre un futur grand Etat yougo-slave sur l’Adriatique. Et elle fait, par l’Épire. coup double contre la Grèce. — Elle a recueilli les leçons de Rome, et il y a toujours, en politique, à apprendre à son école.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

RENÉ DOUMIC