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gorges difficiles, si la supériorité industrielle et numérique de l’Entente ne trouvait tôt ou tard le moyen de s’affirmer. Sur le front de près de 300 kilomètres où sont disséminés les effectifs bulgares et turcs et les maigres contingens allemands, les organisations défensives n’ont pas partout la même solidité. Elles offrent des fissures que la manœuvre permettra d’élargir. La force y aura toujours le dernier mot. Cette force, nous l’avons, et il ne dépend que de nous de l’employer à bon escient. Nous en connaissons maintenant les conditions d’emploi, et les leçons de l’expérience ne seront pas oubliées.

Les troupes françaises ont prouvé de nouveau qu’elles savent s’adapter à toutes les circonstances et à tous les milieux. Les élémens qui les composent sont nombreux et variés ; mais l’esprit de corps le plus obtus et le plus chatouilleux ne peut faire des dosages subtils d’estime dans l’appréciation des mérites des divers combattans. Les Sénégalais ont toujours le sourire, les Algériens n’ont pas démenti leur réputation de fatalistes, les Annamites et les Malgaches employés dans les bataillons d’étapes n’ont cessé de se montrer adroits, placides et patiens ; les Français sont restés eux-mêmes, c’est-à-dire grognards, valeureux et débrouillards.

On pouvait craindre pour le moral de nos auxiliaires exotiques les effets du climat et de l’exil. Dans ce pays à températures extrêmes, les premières rigueurs de l’hiver n’ont guère éprouvé que les Sénégalais avant l’envoi des tirailleurs dans des régions plus clémentes que le bassin de la Cerna. Nos soldats noirs ont été alertes, bavards, insoucians au bivouac et pendant la bataille. Ils ont marché à l’ennemi avec la magnifique insouciance que leur donne la foi dans leurs gris-gris et aussi leur naturel mépris du danger. Mais les vagues de froid les transforment en loques pitoyables. Tassés en chien de fusil dans leurs abris individuels, ils disparaissaient sous les couvertures qui cachaient leurs figures et leurs mains violettes. Ils n’auraient pas bougé pour se garer d’un percutant, pour prendre leur poste en cas d’alerte. Le souci de la conservation, les soins de leur vie matérielle, les encouragemens et les menaces ne peuvent les tirer de leur engourdissement. Quand on les oblige à se remuer, à desserrer leur jambières et leurs chaussures pour prévenir les imminentes et redoutables gelures des pieds, ils protestent d’un dolent « y a pas