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Mais ce soir mon amour est brûlant et prodigue :
Il donnerait le monde et trouve que c’est peu.
Aviez-vous cet élan, possédiez-vous ce feu.
Quand vous aimiez Rodrigue ?

Je songe à vous, Chimène, et pour mieux m’éblouir
J’entends le frais satin d’un pigeon qui s’envole ;
Les grillons dans les prés font sourdre et s’éjouir
La guitare espagnole.

J’aspire sur les bords de mon lac endormi
Un parterre d’œillets mourant de poésie :
C’est cette même odeur qui s’exalte et gémit
Dans l’air d’Andalousie !

La passion, Chimène, et la haute fierté
Veulent qu’on les accorde ou que l’amour périsse ;
Mais songez que peut-être il est quelque beauté
Dans l’entier sacrifice.

Peut-être a-t-on le droit, quel que soit le destin
Qui toujours met l’honneur en regard de l’ivresse,
De laisser consentir un cœur parfois hautain
Aux plus humbles caresses.

L’honneur est un tel bien que l’on ne peut sans lui
Ni respirer le jour ni supporter soi-même ;
Mais on ne quitte pas l’honneur, on le conduit
Jusqu’au ciel quand on aime.

Aussi, lorsqu’un soupir vaste et silencieux
Animera bientôt la nuit secrète et vide,
Quand les parfums, la paix, le vent, comme un liquide,
Découleront des cieux.