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IL PLEUT, LE CIEL EST NOIR...


Il pleut. Le ciel est noir. J’entends
Des gouttes d’eau qui, sursautant,
Font un bruit de pattes et d’ailes
De maladroites sauterelles.
Le vent, gluant de nuit et d’eau,
Met sur mon front comme un bandeau
Trempé dans l’odeur de l’espace…
— Je suis bien ce soir avec vous,
Jardin apaisé tout à coup
Par la pluie qui tombe et se casse
Sur le feuillage et le gazon !
Les odeurs que l’onde libère
Semblent s’évader de prison
Et flotter, légères galères,
Sur tous les vents de l’horizon…
— O pluie aimable à la raison,
Tu viens pétiller goutte à goutte
Sur le cœur qui, comme les fleurs,
Te reçoit, t’absorbe et t’écoute.
Et je respire sans effroi
Un languide et terreux arôme :
Odeur du sol, le dernier baume
Autour des corps muets et froids !
— Parfum large et lent que je hume.
Calmes effluves dilatés.
Confort divin des nuits d’été,
Se peut-il que je m’accoutume
A cette noire éternité
Où tout humain vient se défaire ?
— O monde que j’ai tant aimé.
Un jour mes yeux seront fermés,
Mon cœur chantant devra se taire,
Le souffle un jour me manquera,
En vain j’agiterai les bras !
Je songe, ardente et solitaire,
Au dernier objet sur la terre
Que mon regard rencontrera…