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« Le commissaire me fait appeler dans son cabinet : il venait de recevoir par téléphonogramme l’ordre d’arrêter le général G... C’est un partisan de l’ancien régime, mais ses antécédens seuls suffiraient à justifier la mesure prise contre lui. Commandant du rayon militaire de V... le général s’y fit la réputation d’un terrible justicier. Il pendait les gens comme à plaisir et s’était fait une règle de ne jamais signer une grâce ni une commutation de peine. On s’attendait à de la résistance ; aussi décida-t-on de faire un choix parmi les plus forts. Je fus désigné, avec l’adjoint, deux autres miliciens et huit soldats

« Arrivés à la maison indiquée, nous plaçons un soldat en sentinelle à chaque porte. Ordre de ne laisser entrer ni sortir personne. Nous entrons dans la cour, revolver au poing. Le dvornik, stupéfait de voir un canon de revolver à deux pouces de son visage, se lève d’un bond, le dos arqué, les bras collés au corps et tremblant de peur. J’avais un peu envie de rire... Mais il faut soutenir la dignité de son rôle : ce n’est pas un acte d’opérette que nous jouons. Nous montons à l’appartement suspect. Le dvornik nous suit. La maîtresse de maison est absente. La bonne n’a pas les clés. Une seconde d’hésitation, puis nous faisons sauter les serrures des armoires, nous retournons les lits, nous vidons les grands coffres : bref, tout ce qui peut donner asile à un homme, passe par nos mains. La bobonne pleurait et s’essuyait les yeux avec son tablier blanc.

« La crainte est, dit-on, le commencement de la sagesse : nous l’avons bien vu. Le dvornik sur qui la menace du revolver, compliquée de sa responsabilité personnelle, continue d’agir, s’avise soudain de nous donner une adresse où il se pourrait bien que notre gibier se cachât... Et nous voilà dégringolant l’escalier, non sans avoir placé une sentinelle à côté du téléphone, afin d’éviter les risques d’un avertissement officieux.

« Une foule de curieux s’était amassée devant la porte. On est déçu de nous voir redescendre seuls ! Songez donc, quel plaisir d’annoncer au diner, en servant le borchtch : « Vous savez, on a arrêté le général G... J’étais là ! » Une locataire à qui on avait refusé l’entrée de la maison s’était tranquillement installée dans notre auto pour se réchauffer et lisait le journal. Il y avait à peu près 20° de froid !

« Au commissariat du rayon où nous devons prendre un nouvel ordre de perquisition, nous laissons partir nos camarades