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très méritoire à M. Comte. Un peu plus tard, élève à l’École de Metz, et plus tard, quand il eut renoncé à la carrière militaire afin de se consacrer tout aux mathématiques, il correspondit avec son maître qui, du reste, lui prodigua les meilleurs conseils et les plus précieux encouragemens. Comte, célèbre et laborieux, n’épargne ni son temps ni son obligeante amitié. Un jour d’avril, en 1844, il vint rue Pavée.

Il avait quarante-six ans. Il n’était pas riche ; il n’était pas élégant, ni amusant ; il n’était pas beau. Le crâne dégarni : une mèche pourtant barrait le front par le milieu, pour ainsi dire, à la Napoléon. Les regards doux ; mais un œil qui pleurait. Et la bouche éloquente ; mais, à la commissure, une légère mousse de salive. La taille, assez lourde. Elle, Clotilde, à vingt-neuf ans, est délicieusement jolie, et fine, et rose, une fleur en son bel épanouissement : une fleur gaie. La gaieté, voilà son caractère ; une gaieté innocente et charmante. La visite de M. Comte dura un peu de temps. Et, quand il fut parti, Clotilde prend par les deux mains sa petite belle-sœur de quinze ans. Les deux folles éclatent de rire et, tournant comme un toton, l’une et l’autre se récrient, chantent ; Clotilde : « Ah ! qu’il est laid ! Ah ! qu’il est laid ! » et la petite belle-sœur : « Et il pleure d’un œil ! » et Clotilde reprend : « Et il pleure d’un œil ! » Elles se rasseyent et n’ont pas fini de rire. C’est ainsi que Mme de Vaux a vu pour la première fois Auguste Comte. Elle n’a rien deviné.

Lui, Comte, s’il n’a pas tout deviné, — quoiqu’il soit en possession de la méthode et sache tout l’avenir de l’humanité, ou croie le connaître, ce qui, pour lui, revient au même, — il ne doute pas d’être amoureux. Il est marié, cependant. Il a épousé, de bonne heure, une Caroline Massin qu’il avait rencontrée, dans le jardin du Palais-Royal, un jour de fête, le jour qu’on baptisait le comte de Chambord, et qui était fille de joie et qu’il sut conduire au plus respectable chagrin. Comte, ennemi du divorce qu’il appelle une « désastreuse aberration, » n’hésita point à répudier Caroline. Il la laissa dans un état proche de la misère. Lorsqu’il aura, touchant Clotilde, quelques dépenses de surcroît, c’est Caroline qui verra sa maigre pension diminuée. Et, après la mort de son amante, il écrit à son épouse : « Avec un esprit non moins distingué que le vôtre, elle vous surpassait infiniment par le cœur... Quoique plus jeune que vous de douze ans... » Et plus jeune que lui de dix-sept ans... « mon angélique Clotilde m’accorda bientôt la réciprocité d’affection que je n’avais jamais pu obtenir de vous... Telle fut, madame, ma seule véritable épouse. » Le drôle