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y a de sûr, en tout cas, c’est que ces troupes de couleur sont, comme les nôtres, admirables. Il suffit de les voir manœuvrer, comme de voir défiler nos Sénégalais, le sac au des et le fusil sur l’épaule, pour que, tout de suite, on s’écrie :

— Voilà des soldats !

Ces vieilles races de l’Inde sont à la fois très militaires et très aristocratiques. Elles sont aussi très modernes. Lorsqu’on pénètre dans leurs campemens, on est frappé d’abord par leur tenue extérieure et aussi morale, par le raffinement de leurs usages, la persistance de traditions très archaïques et l’habitude déjà sensible du confort européen.

À l’exercice, en train de manœuvrer leurs lances ou leurs sabres à larges coquilles, véritables colichemardes de drame romantique, ils font songer à des guerriers du Moyen Age. Mais ces preux Asiatiques se tubent et se douchent quotidiennement comme des Anglais : il est vrai qu’ensuite ils ont coutume de se frotter d’huile comme des lutteurs antiques. Ils mangent nos lentilles et nos pimens, qu’ils écrasent avec un rouleau sur une pierre tendre et dont ils font une sorte de pâte écarlate ; mais le beurre, dont ils usent, vient de leur pays, soudé dans de grandes boites de fer-blanc. Ils en assaisonnent des plats spéciaux qui mijotent sur des réchauds de terre brune. Leur cuisine, d’ailleurs entravée par toute espèce de prescriptions religieuses, est d’une extrême propreté. Il faut voir les boulangers accroupis rouler sur une planche circulaire de petites boules de pâte, les taper sur le bois saupoudré de farine et les étendre prestement en galettes souples et minces comme des crêpes : ils en tirent des pains azymes, d’une couleur dorée et d’un goût délicieux. Ces hommes propres ont leurs mosquées établies dans le camp, à peine distinctes des autres tentes, mais tapissées de belles nattes en paille de riz. Seule la couleur d’un étendard distingue de la mosquée musulmane la pagode des Sikhs, sectateurs de Brahma. À côté de ces lieux de prière, très primitifs comme décor et comme mobilier, ils ont des salles de récréation, munies de débits de tabac et de bars à boissons indigènes, de phonographes, d’harmoniums, de jeux de toute espèce, jeux hindous et jeux européens. Près de la porte d’entrée, sur un tableau noir, on inscrit deux fois par jour les dépêches des communiqués, en caractères persans et hindoustanis. Beaucoup d’entre eux sont des lettrés. On me dit même que certains