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des boîtes de laque. On regarde ces équipages inconnus, ces petits hommes lestes et musclés, qui semblent bondir aux coups de sifflet, aux appels des sonneries si semblables aux nôtres, mais qui portent sur leurs bérets des inscriptions en caractères énigmatiques. Ils vont et viennent avec une légèreté d’acrobates, tandis qu’à l’extrémité du pont, les officiers, assis sur des plians, fument des cigares ou jouent de l’éventail... Soudain, une sonnerie retentit, puis un coup de canon : instantanément, tout s’arrête, le mouvement est suspendu sur le navire. D’un bout à l’autre du pont, le long des passerelles et des vergues, on ne voit plus que des files blanches de matelots, immobilisés dans un geste identique de salutation militaire et religieuse. Des trompettes sonnent une musique étrange, qui n’a plus rien de commun avec les nôtres, une musique telle qu’on en doit entendre, là-bas, dans les temples de bois peint, où brûlent les bâtonnets d’encens, parmi les tintemens clairs des gongs. Et, — comme soulevé par l’hymne qui perpétue la psalmodie pieuse des ancêtres, — sur la blancheur symbolique de son étendard, le rouge Soleil nippon monte dans une apothéose...

Regardez-les bien, gens de Marseille, et vous tous, gens de notre France, regardez-les, ces petits hommes jaunes venus de si loin sur les coques de fer de leurs navires, et, devant un symbole national et religieux vieux de trois mille ans, raidis dans une attitude hiératique, comme des statues de la Discipline !...


LOUIS BERTRAND.