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façades sont arrachés, et tout le désastre apparaît à la fois : des planchers pendent ; le contenu des étages a glissé jusqu’en bas, écroulé parmi des tisons de poutres et des plâtras.

Parfois, — et la ruine, alors, est plus pathétique, — du haut en bas de ces carcasses, des vestiges subsistent de l’ancien ordre intérieur : un rang vertical de cheminées avec leurs consoles, marquant les anciens étages, quelques-unes portant encore une lampe, une pendule. Des papiers à fleurs se superposent, avec des glaces, des alcôves, des bahuts où sont rangées des vaisselles, des penderies où pendent des vêtemens. On voyait de pauvres petites robes d’enfans.

Et puis, on pénètre en des quartiers où le désastre est celui d’un tremblement de terre. Plus de rues : des sortes de sentiers, des passages parfois difficiles entre d’énormes monceaux de briques ou de pierres. Pour arriver jusqu’à la cathédrale, dont les morceaux de voûtes, caissons et colonnades rappellent de tragiques Piranèse, il faut escalader des pentes de blocs écroulés : c’est une ascension d’éboulis comme au pied d’une falaise. A l’intérieur (mais peut-on parler d’intérieur ? — les murs sont arrachés, et les arceaux qui subsistent n’enveloppent que du ciel), des piliers corinthiens surgissent, grêlés de blanc, d’un chaos de débris. Parmi des morceaux de chaises et de candélabres, de chapiteaux, de grilles et de vitraux, on ramasse des morceaux d’acier déchiré. L’un d’eux, trouvé dans la ruine neuve du perron, était encore chaud. Sans doute, un vestige d’une formidable explosion entendue, quelques minutes auparavant, d’une rue voisine.

Car les tonnerres continuaient, allemands ou anglais, précédés ou suivis de stridentes huées, fracassant le surprenant silence, parfois prolongés en tapages retentissans de choses qui dégringolent. J’avais connu, déjà, cette sorcellerie dans la forêt d’Argonne où d’étranges tumultes éclataient autour de nous, en des lieux où les yeux n’aperçoivent que solitude. Les mêmes invisibles démons étaient à l’œuvre, détruisant, peu à peu, dans la ville comme dans la forêt, la forme des choses.

Mais des oiseaux chantaient, comme toujours au naissant mois de juin. La nature semblait profiter du départ des hommes ; sa calme vie s’insinuait malgré tout dans les ruines. On cherchait, et par delà les murs calcinés on découvrait les secrets jardins annoncés par ces gazouillis, — des jardins où personne