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Tout semblait paisible, bien différent de ces jours qui sont d’une autre année, et qui sont de la même guerre. Au loin elle continuait toujours : des bruits d’obus et d’avions ébranlaient quelque part l’espace.


En haut de la colline, au pied des campaniles, on trouve une grande aire. Des pans de mur l’entourent, dont la pierre grise, de noble appareil, les corniches sont d’un autre âge, restes de la ferme d’hier et de l’abbaye plus vieille que les tours.

Le sol était bouleversé, fouillé de fosses profondes. Des fragmens de fer, les uns portant encore le bleu de la peinture allemande, les autres, couleur de rouille, se mêlaient un peu partout à la pierraille arrachée. Près d’un mur abattu, il y avait un trou dont la terre était fraîche, et d’où sortait une très faible odeur de kirsch : un reste de gaz lacrymogène. Ce sommet de colline, qui peut servir d’observatoire, venait encore d’être bombardé.

Derrière le mur qui ferme, du côté de l’ennemi, le quadrilatère de la cour, nous regardions, par une fenêtre à meneaux, les étendues disputées. La fenêtre était munie d’un grillage, ce qui suffit à masquer des observateurs.

Dans un éclairage pâle, mais précis, sous un fantôme de soleil, on voyait un pays vide et sans couleur, allongé du Nord au Sud, car, en face, à deux lieues à peine, il monte et finit dans l’Est en une ligne qui n’est pas l’horizon. Ce long pays, aux aspects de désert, semblait vraiment désert. Du détail habituel aux campagnes d’Europe, les yeux ne retrouvaient rien. On remarquait seulement, au loin, des sortes de hachures grisâtres et, peu à peu, des taches d’un ton plus douteux encore. Ces taches, c’étaient des restes de villages, de maisons qui, le toit tombé, et souvent presque tous les murs, se réduisent à de minces lignes d’arasement, à des rectangles ternes, à peine perceptibles sur les fonds morts de la terre. Ces hachures, c’étaient les vestiges des bois canonnés. A la jumelle, on distinguait très bien chaque squelette d’arbre, un squelette en ruine, sans tête ni membres, debout encore sur le sol dénudé, et qui, dans la lunette, fondait en grandissant, prenait je ne sais quelle inquiétante et mystérieuse apparence. Plus que tout, ces rayures lointaines contribuaient à l’impression de mort. C’était, en plus vaste et terrible, ce que j’avais vu, jadis, en