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jonchent le sol bouleversé. La dynamite a dispersé les pierres, brisé les boiseries, disloqué les charpentes, projeté en l’air les toits d’ardoises des pavillons. Un de ces toits est tombé à terre, et recouvre de son faîtage pointu l’inextricable fouillis des tuiles en morceaux, des lattes en miettes et des vitres en éclats qui se mêlent, çà et là, aux feuillets déchirés des livres de la bibliothèque.

Je demande :

— Où est allé ce prince allemand, après avoir mis en cet état le château du comte Balny d’Avricourt ?

— Au Frétoy, et même il a emporté là-bas tous les meubles.

Avant de suivre au Frétoy, dans le canton de Guiscard, la piste du grand personnage prussien qui répond au signalement du prince Eitel-Friedrich, je suis conduit, par l’officier du quartier général qui veut bien me servir de guide, à la maison où fut installé le bureau de la Kommandantur pendant le séjour du prince au château d’Avricourt.

Le jardin de cette maison saccagée nous offre, en un étroit espace, le résumé de la méthode appliquée par nos ennemis à l’anéantissement de la nature elle-même. Pas un arbre qui ait échappé à l’arrêt de mort.

— Même le lierre ! disent les pauvres femmes. On n’avait jamais vu ça !

Tous les détails du supplice infligé aux arbres de chez nous ont été minutieusement réglés, par ordre supérieur, au quartier général d’Hindenburg. Pour les pommiers, les poiriers et les pruniers de ce jardin, c’est la mort lente. Une entaille circulaire, qu’on dirait faite avec un instrument de chirurgie, écorche la base du tronc, laissant à nu et à vif la chair meurtrie du blessé. Sans doute quelque docte professeur de pomologie, mobilisé pour cet office, a calculé tous les effets de cette opération : l’écoulement de la sève par l’ulcération meurtrière, le dessèchement de l’arbre avant la maturation des fruits, la stérilisation du sol par l’encombrement des racines mortes.

Tel est le travail allemand qui se faisait dans cette commune du canton de Lassigny, tandis que l’hôte princier du château d’Avricourt s’enfuyait au Frétoy, dans le canton de Guiscard, à peu de distance de la route de Ham.

Là, personne ne doute de l’identité du prince qui vint chercher au château du Frétoy, loin à l’arrière des lignes de l’armée