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L’ALSACE-LORRAINE À LA VEILLE DE LA DÉLIVRANCE.

Depuis lors l’émigration n’avait jamais cessé, comme le prouvaient les milliers de condamnations d’insoumis et de réfractaires prononcées chaque année par les tribunaux allemands d’Alsace-Lorraine.

Autre question. Qui présiderait aux opérations du plébiscite ? Celui-ci pourrait-il loyalement être organisé sous la domination allemande ? Non ! car nous voyons déjà les germanisateurs à l’œuvre pour préparer, à l’aide de leurs méthodes habituelles, le truquage de la consultation populaire qu’ils escomptent comme leur dernière ressource. Les otages arrêtés en 1914 sont autorisés à rentrer en Alsace-Lorraine ; les journaux officieux s’attachent à démontrer que les pays annexés n’ont plus de relations commerciales et industrielles qu’avec l’Empire et que, dès lors, un changement complet d’orientation économique entraînerait la ruine du pays. Du même coup la presse allemande insinue que les Alsaciens-Lorrains, qui, pendant la guerre, ont été contraints de servir sous les drapeaux du Kaiser, seront, en cas de retour de leurs provinces à l’ancienne patrie, l’objet de constantes suspicions, et que les mutilés et les familles des disparus ne toucheront aucune pension.

Que si le plébiscite ne devait avoir lieu qu’après la réintégration de l’Alsace-Lorraine à la France, les Allemands le considéreraient comme nul et non avenu, parce qu’ils accuseraient les libérateurs du pays d’avoir exercé sur les anciens annexés une pression déloyale.

Mais ce ne sont là que des considérations accessoires. Ce qui domine tout le débat, c’est la nécessité de réparer l’injustice commise en 1871. 1 500 000 Français ont été en ce temps-là dénaturalisés contre leur volonté nettement exprimée. La France vaincue a dû, le couteau sur la gorge, consentir à la prise d’un territoire qui lui appartenait depuis plus de deux siècles. Les Allemands n’ont consulté officiellement la population ni avant l’annexion, ni durant les quarante-quatre années qui l’ont suivie. La fidélité des Alsaciens-Lorrains à la France s’est constamment et nettement affirmée, malgré les pires persécutions. Et on imposerait à la France, on nous imposerait à nous-mêmes l’humiliation d’une consultation populaire avant que le droit puisse être restauré ! On donnerait à l’Allemagne annexionniste, à l’Allemagne qui dénie le droit à l’existence aux