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pesaient sur sa nuque comme une corde d’or dix fois tordue et nouée, un cou puissant d’une blancheur humide et nacrée, des joues d’une pulpe aussi lumineuse que des pivoines nouvellement écloses dans une aurore de printemps. De petites mèches brillantes s’envolaient autour de son front poli. Ses sourcils rares traçaient une longue courbe fuyante et dorée sur de petits yeux si clairs, si frais, si transparens qu’ils semblaient miroiter de l’intarissable nouveauté des sources.

Que signifiaient les scintillations de ces petits yeux ? Voilà ce que Connixloo se demandait parfois, mordu d’une brusque inquiétude, quand Gotton silencieuse, la bouche humide, les joues éclatantes, rentrait des champs avec les vaches. Il la regardait venir du seuil de la chaumière, debout entre les touffes de géranium qui devaient sans doute au voisinage du tas de fumier le rouge épais de leurs corolles. Vaguement, il percevait ce qu’il y avait de charnel et de voluptueux dans la démarche lente de cette belle fille, dans le balancement de ses épaules et de ses hanches robustes. On était en mai. Il songeait : « Elle a changé depuis l’hiver. Ce n’est peut-être pas prudent de la laisser passer seule des journées aux champs ! » L’éclosion de cette fleur de jeunesse ne lui était qu’un pesant souci.

« Il faudrait la marier, » se disait-il encore. Mais elle était têtue et elle avait déjà tourné le dos depuis un an à plusieurs partis du village, sans que personne pût comprendre pourquoi.

— Rien de nouveau ? lui demandait-il comme elle arrivait au seuil.

— Rien, répondait-elle. Il n’y avait jamais rien de nouveau. Mais pourquoi cette lumière bizarre dans ses prunelles, cette petite flamme naïve, méchante et joyeuse ? Demain, il irait lui-même la surprendre aux champs.

Vers trois heures, le lendemain du jour où ses confuses craintes s’étaient résumées en cette résolution, Connixloo traversa le village et suivit la route, entre des champs de betteraves, jusqu’à une bande de pâturage qui borde la lisière d’un petit bois. Gotton se tenait là, près de ses vaches, debout dans l’herbe épaisse, un bas de tricot à la main. Mais ses aiguilles ne travaillaient pas et elle semblait suivre des yeux un homme qui s’éloignait par la route. Connixloo regarda cette silhouette qui seule bougeait dans la plaine. C’était celle d’un homme large d’épaules, presque trapu et qui boitait. Il allait tête nue